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guérisseur, blanchissant sur le ciel d’un gris fluide et tendre, semble un prolongement de la grande lueur lunaire qui descend d’en haut et pacifie les eaux. La conception est d’un poète et d’un peintre. Et ce qui manque de décision et de mouvement dans les figures, M. Lucien Simon n’est pas incapable de le donner, si nous nous en rapportons aux études, trop sommaires, mais d’un beau jet de sentiment et de coloris : dont il accompagne cet essai de tableau. Le portrait d’une jeune mère embrassant son enfant sous ce titre significatif : les Miens, est notamment un ouvrage très ressenti pour le geste, l’expression, l’exécution, avec une simplicité qui n’est point du tout commune. Dans le Bon Samaritain de M. René Ménard, qui ramasse son blessé, le soir, près d’une ferme en Brie, avec l’aide de quelques campagnards, les formes sont plus flottantes encore, les indications beaucoup trop incertaines, mais l’impression est sincère et grave. M. Ménard se prépare du reste aussi à réaliser, dans l’avenir, plus complètement ses rêves poétiques par des études consciencieuses de la figure humaine ; nous le retrouverons, parmi les portraitistes d’avenir, avec l’image très finement et scrupuleusement analysée, de son oncle, l’helléniste poète et philosophe, M. Louis Ménard, et celle de sa mère, une œuvre très simple, libre et émue, un des bons portraits du Champ de Mars.

M. Adolphe Binet, qui répand dans tous les sens un esprit d’observation assez vif et fin, que nous avons vu, des années précédentes, s’enhardir, non sans succès, aux compositions militaires, aborde, cette année, la légende sacrée. Ni son étrange Tentation de saint Antoine, où les nudités les plus effrontées gambadent, en des attitudes remarquablement lubriques ou théâtralement sanglantes, autour de l’ermite effaré, ni même son Bon Samaritain, qui nous montre un ouvrier blessé rapporté par des passans sur un quai de la banlieue parisienne, ne nous prouvent, à vrai dire, que pour se mesurer avec des sujets religieux M. Binet se soit suffisamment imprégné d’esprit religieux. Dans le Bon Samaritain, bien étudié, proprement et soigneusement peint, nous retrouvons cette même faculté d’analyse, vis-à-vis des réalités communes, qui donne leur valeur relative aux études environnantes, le Pêcheur à la ligne, les Confidences. L’analyse de M. Binet, comme celle de toute cette école patiente et minutieuse, un peu terre à terre et bourgeoise, qui se rattache, par sa précision, à l’art photographique, a plus de justesse que de chaleur, plus d’esprit que de profondeur, plus de patience que d’émotion, et le grand souffle de l’Evangile n’a pas suffi à passionner ce dilettantisme éclectique et cette virtuosité placide. On ressent bien plus de tendresse, de pitié, de chaleur dans les simples