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quel parti ont tiré de ces ordonnances symétriques les délicieux naturalistes du XVe siècle, Filippo Lippi, Benozzo Gozzoli, Memling et même les peintres décorateurs du XVIe et du XVIIe siècle. Rien n’empêche un moderne de rajeunir les types les plus vieillis par les mêmes moyens qu’eux, mais il y faut les qualités qu’ils possédèrent, ou le sens profond et délicat des variétés infinies de la physionomie humaine, ou le maniement puissant et personnel des grandes formes typiques.

Il n’en est pas moins vrai qu’il y a toujours quelque mérite à entreprendre et à mener presque à bien de si vastes tâches auxquelles leur éducation superficielle et l’indifférence du public préparent aujourd’hui si mal les artistes. Dans une toile restreinte, sans placement déterminé, n’ayant à subir aucune condition d’entourage architectural ou de milieu moral, le dilettantisme mystique se trouve, naturellement, plus à l’aise. A vrai dire, le plus souvent, il ne prend le sujet sacré que comme un prétexte à quelque effet pittoresque, plastique, lumineux, et ce serait peine perdue d’y chercher un accent de ferveur ou d’enthousiasme. Le Saint Jean-Baptiste de M. Trigoulel, dont la tête rayonnante, tombée à terre, illumine le sombre cachot, le Saint Paul l’Ermite, de M. Surand, dont le blanc cadavre est allongé devant la fosse que lui ont creusée les lions, le Saint Denis, de M. Krug, présentant lui-même à l’assistance sa tête coupée, ne sont pas des compositions sans mérite. Toutes les trois prouvent même chez leurs auteurs de véritables efforts pour l’exécution éclatante ou ferme du morceau, et, par le temps qui court, c’est bien quelque chose ; mais la science y tient plus de place que l’émotion. C’était un bien beau sujet que Saint François d’Assise, poussant la charrue sur les pentes du mont Alverna, et chantant, à gorge déployée, cet admirable Cantique du Soleil, le premier salut de la Renaissance à la nature retrouvée et adorée ; et M. Chartran a eu le sentiment de ce qu’on en pouvait tirer. Les grands bœufs, précédés par le vol des corbeaux, halètent laborieusement sous la grande lumière, et le pieux ascète, émacié et efflanqué jusqu’à la transparence, pousse le soc avec conviction. Avec plus d’accent dans le type du saint et plus de fermeté dans l’exécution, c’eût été un excellent morceau. A son retour de Rome, M. Luc Olivier-Merson avait traité un sujet identique dans son Saint Isidore. C’était d’une clarté charmante, d’une fraîcheur et d’une vivacité vraiment légendaires. Le Saint François de M. Chartran ne fera pas oublier le Saint Isidore de M. Merson.

Dans le Saint Isidore, si nous ne nous trompons, un bon ange, un bel ange, tout blanc, avec des ailes blanches, se présentait sur