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de Mars, l’Escalier du Préfet à l’Hôtel de Ville, où se retrouvent pourtant, dans les nobles figures allégoriques des voussures, ses anciennes et belles qualités, que lui-même ne soit allé jusqu’aux extrêmes limites du possible dans la simplification et la généralisation. On pourra toujours regretter qu’il n’ait pas caractérisé d’une façon plus nette, plus française, plus moderne, non seulement la personnalité si extraordinaire et si colorée de Victor Hugo, mais les individualités mêmes de toutes les images symboliques qui l’entourent.

Aux Champs-Elysées, d’autre part, il est bien sûr que l’allégorie choisie par M. Bonnat pour représenter dans un plafond de l’Hôtel de Ville le Triomphe de l’Art, ne saurait prétendre à plus de nouveauté et que, d’ailleurs elle n’y prétend pas. C’est donc toujours le Phébus inévitable, l’Apollon, jeune et beau, s’élançant, sur Pégase, vers l’empyrée, avec la Muse envolée qui lui montre la route. M. Mercié, après bien d’autres, dans son superbe haut-relief du Louvre, au-dessus des guichets, avait déjà, en ces derniers temps, repris ce thème. Mais si M. Bonnat, comme M. Mercié, n’a rien prétendu inventer en fait de composition, il a voulu, du moins, donner au mythe traditionnel toute sa valeur significative par la force et la perfection de l’exécution. Cette toile, aux modelés vigoureux, n’est pas, certes, ce que nos ancêtres appelaient de la plate-peinture, et le relief des formes y est même si décidé qu’on croit presque, de loin, voir une sculpture peinte. Le Brun, à Versailles, après les grands brosseurs d’Italie, avait compris, dans certains cas, au milieu des moulures et des dorures, le décor plafonnant de cette façon hardie, et rien ne nous prouve qu’il ait eu tort. Peut-être même, sous l’abondante lumière du gaz, ce grand cheval blanc, d’un élan si fier, d’un mouvement si résolu, emportant son cavalier glorieux et extasié vers le ciel ouvert, sera-t-il, de toutes les figures volantes de l’Hôtel de Ville, celle qui, malgré son poids, semblera le mieux s’acquitter de son rôle et le mieux enlever vers les hauteurs les yeux et l’âme des passans. La vigueur des tons obscurs dont le groupe ascendant est entouré et comme cerné, le parti pris violent des taches claires que font sur le bleu du ciel ou le noir du sol les musculatures robustes des deux lutteurs terrassés qui symbolisent l’Ignorance et la Barbarie, et les hiboux envolés de l’Envie, tout est fait pour accentuer le mouvement expressif des figures principales. Si le groupe inférieur n’est qu’un morceau de bravoure d’une habileté remarquable dans son arrangement trop prévu, le groupe supérieur, en revanche, est d’un accent noble et mâle qui nous reporte aux plus belles époques de l’art. La Muse, tenant la lyre,