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ouvriront un nouveau chapitre de l’histoire de la beauté humaine, cette beauté si diversement comprise par les civilisations’ diverses ? Non, n’est-ce pas ? Toutes ces études nous peuvent être agréables, commodes interprétations consciencieuses de la réalité ou d’élégantes réminiscences d’un art supérieur, mais on n’y saurait trouver ce que les auteurs n’ont point cherché d’ailleurs à y mettre, aucun symptôme d’une conception particulière et moins prévue.

On devine plus d’indépendance et plus d’ambition chez MM. Lequesne et Gervais qui, depuis quelques années, se sont faits les adorateurs de la beauté nue, mais qui placent, en général, leurs déesses ou leurs nymphes dans des décors d’une dimension exagérée. M. Lequesne est un dessinateur attentif et agréable qui étudie, sous tous ses aspects, la beauté féminine avec un goût délicat et non sans succès. Les morceaux intéressans, chez lui, ne sont pas rares ; mais, jusqu’ici, ces morceaux se sont perdus dans l’éparpillement de vastes compositions, vaguement poétiques, d’intention confuse, sans effet précis. Son Torrent, cette année, un torrent de femmes, qui descendent, en désordre, sur une pente rapide, avec les grandes eaux, n’échappe pas à ce reproche. Pour donner à la scène toute sa signification pittoresque, de la clarté et de l’expression, il eût fallu quelque parti pris de mise en lumière nette et décidée, avec une distribution habile des ombres, le sacrifice de certaines figures au profit de certaines autres. En voulant leur conserver à toutes la même valeur, l’artiste les a toutes amoindries, et, au lieu de faire une belle peinture, mouvementée et décorative, n’a présenté qu’une collection d’études. Le sentiment de la beauté nous semble, néanmoins, chez M. Lequesne, plus élevé et plus pur qu’il ne l’est chez M. Gervais, dont les trois déesses, dans le Jugement de Paris, étalent leurs nudités colossales agrémentées par des coiffures et des bijoux d’un goût bizarre, avec une complaisance savante qui n’a rien de la naïveté homérique. L’Olympe d’où descendent ces trois honnêtes dames ne doit pas être un Olympe inaccessible. Le mont Œta, sur lequel les contemple le jouvenceau très émerillonné qui les juge, est figuré par une terrasse de villa italienne qu’illumine un soleil électrique. Les figures, de trop grandes dimensions pour leur solidité, se perdent encore dans cette grandeur exagérée du décor et dans cet éparpillement de lumière plus abondante que chaude. L’ensemble, paysage, attitudes, expressions, éclairage, sent, en un mot, le théâtre plus que la nature et la vérité, et l’exécution même, à la fois minutieuse et flottante, incertaine et prétentieuse, ne contribue guère à corriger cette première