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ordinaires du moyen âge, MM. Luminais, dans les Pirates normands au IXe siècle et dans sa Fin de la reine Brunehaut ; M. Laugée, dans les Commensaux de saint Louis ; M. Gaston Mélingue, dans sa Jeanne d’Arc et le capitaine Baudricourt, répètent, non sans agrément, ce qu’ils nous ont déjà dit autrefois et dans le même langage, un langage honnête et sincère, mais sans grand éclat, et ils n’ont pris, au commerce des chroniqueurs et des trouvères, ni l’accent épique ni l’accent lyrique.

La légende napoléonienne, qui fait seule concurrence à la légende évangélique pour le nombre des manifestations, n’inspire pas non plus des visions bien puissantes. Nous restons toujours dans l’anecdote, sinon le commérage. En fait de combats, c’est l’Empereur venant, après la bataille d’Essling, embrasser le Maréchal Lannes, blessé sur son brancard ; le tableau est de M. Boutigny, et c’est le meilleur qu’il ait peint. C’est la Musique à Iéna de M. Sergent, esquisse vive et amusante, où l’on voit les clarinettes s’époumoner et le chef de musique battre la mesure sous une grêle de balles. En fait d’actions personnelles, c’est le Souper de Beaucaire, où le jeune Bonaparte prévoit une dictature, par M. Lecomte du Nouy ; c’est Bonaparte au Mont Saint-Bernard, par M. Jules Girardet ; c’est Napoléon réfugié dans une chaumière champenoise, durant la Campagne de France, par M. Kratké : les trois épisodes sont présentés, avec les qualités particulières de chaque artiste, d’une façon claire et ingénieuse qui en rendra les reproductions facilement populaires, mais la figure du héros n’y offre rien d’inattendu. M. Jean-Paul Laurens, représentant la scène orageuse entre l’Empereur et le Pape, à Fontainebleau, qu’Alfred de Vigny a déjà racontée, se devait à lui-même de préciser en traits plus incisifs les physionomies des deux rivaux : le geôlier et son prisonnier. On est au moment où le vieux Pontife, assis dans son fauteuil, indigné et exaspéré, mais ne laissant monter jusqu’à son visage jaune d’Italien impassible qu’un fier et triste sourire d’ironie, va lâcher le mot : Tragediante ! Napoléon, dressé sur ses ergots, a jeté à terre une chaise et son tricorne : jusqu’où va s’emporter la colère du Corse ? Les deux acteurs sont bien mis en scène, vifs, expressifs, et pourtant ils semblent tous deux plus petits que dans la prose nette et serrée de Servitude et Grandeur militaires. Autour d’eux, avec une exactitude minutieuse, sur une vaste étendue, M. J.-Paul Laurens nous a détaillé le banal tapis à fleurs qui couvre le parquet, la belle tapisserie du XVIIe siècle qui couvre la muraille, les chaises, les fauteuils, les consoles ; il ne nous a fait grâce d’aucune pièce du mobilier, et l’exactitude même de cet entourage encombrant, loin de contribuer à mettre