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extrêmes. Le gouvernement a déclaré qu’il les repoussait l’un et l’autre. Il ne restait plus que l’ordre du jour pur et simple : il a été rejeté par 25 voix de majorité. Aussitôt les ministres ont quitté la salle des séances, avec trop de hâte assurément, car rien n’était encore irréparable. Un troisième ordre du jour pouvait être présenté et voté ; mais il aurait fallu, pour cela, l’intervention et la présence du gouvernement, et le gouvernement n’y était plus. La Chambre, livrée à elle-même, après avoir refusé la priorité à l’ordre du jour de M. Millerand, a voté celui de M. de Ramel. Il n’y en avait pas d’autre, et cette considération a suffi à beaucoup de députés novices. Conclusion : le gouvernement de M. Casimir-Perier, ce gouvernement qui ne vivait, d’après les radicaux, que de ses complaisances envers la droite cléricale, a été renversé par un ordre du jour venu de cette même droite cléricale, et voté par les radicaux. M. Millerand s’y était ouvertement rallié.

C’est peut-être trop s’attarder sur ces détails : qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Les circonstances dans lesquelles est tombé le ministère Casimir-Perier ont moins d’importance que sa chute elle-même. Il ne faut pourtant pas oublier l’empressement des socialistes à s’attribuer tout l’avantage de la victoire, sous prétexte qu’il s’agissait, dans l’espèce, d’une question où les intérêts des ouvriers se trouvaient opposés à ceux des patrons. Vive la commune ! Vive la révolution sociale ! ont-ils crié après la proclamation du vote. Ils ne pouvaient pas contenir leur joie. Les radicaux, plus politiques, songeaient déjà au lendemain avec quelque anxiété. Le ministère Casimir-Perier avait été un gouvernement modéré. Sans doute, il n’avait pas duré bien longtemps ; mais M. Casimir-Perier, digne héritier d’un nom illustre, avait manifesté avec un relief vigoureux les caractères principaux qui distinguent l’homme d’État, un esprit simple et droit, un caractère ferme et résolu, une éloquence nette, précise et concise, qui produisait grand effet sur la Chambre, enfin l’humeur égale d’un homme toujours prêt et dispos. Il avait donné le sentiment, et presque la sensation de ce que doit être un gouvernement. Il fallait faire oublier tout cela, sinon comment la Chambre se résignerait-elle à accepter, soit un ministère radical, soit plus modestement un ministère de concentration républicaine à base radicale ? Les radicaux préféraient, bien entendu, la première solution ; toutefois, faute de mieux, ils se rabattaient sur la seconde. En attendant, ils répandaient l’opinion que le ministère Casimir-Perier était mort de consomption naturelle, logique, inévitable, et que le seul fait surprenant était qu’il eût pu vivre aussi longtemps. Bien loin d’amoindrir les mérites de son chef, ils les reconnaissaient très haut et les auraient même volontiers exagérés pour mieux montrer qu’un gouvernement modéré n’était pas viable, puisque M. Casimir-Perier n’avait pas pu le faire vivre. Quant à recommencer l’épreuve avec des élémens d’ordre