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renaissante de la maîtresse, ni l’affection soutenue et confiante de l’épouse.

Henri IV, il est vrai, était un bien mauvais mari. Mais Marie de Médicis avait un bien mauvais caractère. Les hommes, les rois surtout, ont droit à quelque indulgence. Or, la reine eût été, à tous les rangs de la société, une femme jalouse, colère et vindicative. Elle était, en outre, tellement soumise à un entourage des plus louches qu’un mari, et surtout un roi, ne pouvait se fier entièrement en elle. C’étaient là de mauvaises dispositions pour retenir un homme de naturel volage comme l’était Henri IV, et les scènes de ménage que nous raconte Sully, où la reine allait « jusqu’à lever la main », expliquent assez que le bon roi, très féru de ses maîtresses et fort dégoûté de cette promiscuité italienne, ait songé parfois à renvoyer outre monts une femme dont le rôle était rempli, maintenant qu’elle lui avait donné six enfans.

Ce fut Henri IV qui céda la place. La mort arrange bien des difficultés. Sans prêter créance aux commérages des contemporains et aux insinuations de Sully, on peut dire, de Marie de Médicis, que le veuvage lui fut léger. Le deuil extérieur fut bruyant et éploré ; le fond du cœur resta froid. Il semble que tout le monde et Henri IV lui-même avait prévu cette mort prématurée. Il avait pris la précaution de faire couronner la reine, la veille de son départ pour l’armée. Si bien que, quelques heures après sa mort, tout était arrangé et la régence de Marie de Médicis proclamée par le parlement, acceptée par la cour, et reconnue par le reste du royaume.

À ce moment, on ne dit pas, comme on devait le faire quarante ans plus tard, à l’avènement d’Anne d’Autriche : « La Reine est si bonne. » Marie de Médicis était peu connue et peu aimée. Toujours repliée sur une étroite coterie, parlant mal le français, alourdie par ses couches successives, elle ne suivait guère le mouvement et la turbulence de la cour de France. Mais on était délivré de l’autorité virile du feu roi. La régente avait besoin de tout le monde et on pensait que chacun pourrait réclamer pour soi une part de l’autorité tombée entre ses faibles mains.

La reine était si effacée, du vivant de Henri IV, qu’il fallut quelque temps pour voir son caractère se dessiner et ses aptitudes gouvernementales prendre un certain relief. Ce n’était pas une Catherine de Médicis. Elle n’avait, de celle-ci, ni l’intelligence, ni l’activité, ni le goût des affaires. Elle apparut bientôt comme une femme d’un cœur sec, froidement égoïste, très jalouse de son autorité, de moyens médiocres, paresseuse et obstinée, mais