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Plus tard, il fit construire une petite maison adossée au palais, en face l’hôtel de Bourbon, Cette maison communiquait avec l’entresol qu’habitait la reine par un pont que la malignité populaire avait baptisé le pont d’amour. On sait aussi que les relations conjugales entre Léonora et son mari étaient rompues dans les dernières années : c’est elle du moins qui l’assurait, au moment de sa mort. Tous ces détails étaient connus du public, relevés et envenimés dans les pamphlets. On affichait couramment des « ordures », — c’est le mot de Malherbe, — sur ce qui se passait au palais.

Marie de Médicis ne pouvait vivre sans ses chers confidens. Dès qu’ils s’éloignaient quelque peu, elle les rappelait vite auprès d’elle. Si l’absence devait durer, elle leur écrivait, — au mari et à la femme, — des lettres presque toutes de sa main, remplies de marques d’affection et de tendresse. Quoique le registre qui nous les a transmis soit de caractère peu intime, puisqu’il est copié de la main d’un secrétaire, on y relève pourtant, parmi les détails de la vie de cour, spectacles, comédies, pompes et colifichets, quelques traits plus expressifs. En mai 1613, la reine écrit à Concini que « maintenant qu’il va mieux elle veut qu’il se rende auprès d’elle, à Fontainebleau, » et elle ajoute : « c’est chose que je désire pour les raisons que je vous dirai à vous-même. » Or, le même jour, elle écrit à la marquise d’Ancre, et elle ne la prie nullement d’accompagner son mari. Quelque temps après, autre lettre très affectueuse au marquis d’Ancre, qui est à Amiens : « Continuez votre voyage et vous y entretenez sans vous ennuyer. » Au cours du voyage vers Nantes, en 1614, active correspondance avec le maréchal et la maréchale qui n’ont pas accompagné la reine : « Je me porte bien, écrit-elle à Concini, et je n’ai de déplaisir que la longueur et opiniâtreté de votre maladie. » Celui-ci la traitait, d’ailleurs assez cavalièrement. En octobre 1616, au retour de Caen où il était allé se renfermer, en un accès de mauvaise humeur et d’inquiétude, la reine le rencontra comme il arrivait. Elle descendit de carrosse pour lui parler. « Vous voilà gros et gras, lui dit-elle, et avec bon visage. » Il répondit brusquement : « Est-ce pour cela que vous m’avez envoyé quérir si vite ? »

Ce sont là de bien vagues indices. Ils ne sauraient prouver, entre la reine et le maréchal, d’autres rapports que ceux d’une grande familiarité. Le point délicat reste difficile à éclaircir. Je n’ai rien trouvé de plus direct à ce sujet qu’un mot de Richelieu, un mot de prêtre, où l’on sent percer les inquiétudes rétrospectives du remplaçant. Dans ses Mémoires, il dit de Concini : « La passion du jeu