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entrait dans la période de folie présomptueuse qui termine généralement la carrière de ces aventuriers : il disait « qu’il voulait savoir jusqu’où la fortune pouvait porter un homme. » Il travaillait à s’assurer une situation personnelle, indépendante, au besoin, de la faveur de la reine et même de l’autorité du roi. On voit cette préoccupation se dessiner à partir de l’année 1614. Il attire, par des générosités habilement semées, de jeunes gentilshommes ambitieux et avides ; il s’assure une garde composée d’Italiens et de Suisses entièrement dévoués à sa personne. Nommé maréchal de France à la mort de Fervacques, il acquiert ainsi une autorité qui lui permet de s’entourer de tout un appareil militaire. Enfin, guidé par les conseils d’un homme expérimenté et énergique, le baron de Lux, il comprend qu’il n’y a de force en France que pour celui qui peut disposer d’une grande situation territoriale. Aussi ne songe-t-il plus qu’à s’assurer le gouvernement d’une province frontière, de façon à pouvoir, en cas d’accident, s’appuyer sur l’étranger. Tantôt il jetait les yeux sur la Bourgogne, d’autres fois sur Sedan ; enfin il se décida pour la Picardie. Déjà il disposait de plusieurs places fortes dans cette région. En obtenant le gouvernement de la province, il était admirablement placé, entre les archiducs et Paris, soit pour menacer la capitale, soit pour s’assurer un asile en cas d’échec.

Le gouverneur de la Picardie était alors un homme jeune, de grande famille, mais borné et opiniâtre, le duc de Longueville. Concini lui fit faire des ouvertures en vue d’échanger le gouvernement de sa province contre un autre que l’on considérait comme plus avantageux, celui de Normandie. Il eut l’idée singulière de charger Villeroy de la négociation. Le ministre comprit tout le danger des projets de Concini, et s’arrangea de façon à faire échouer la combinaison. Le favori, furieux, jura la perte de Villeroy. C’est ainsi que, peu à peu, il en venait à se mêler directement aux affaires de l’État. Il ne pouvait encore avoir la prétention de les conduire lui-même. Il profita des dissentimens qui existaient entre les « barbons » pour les détruire l’un par l’autre. Nous sommes en décembre 1614 ; le chancelier de Sillery avait vu son influence s’accroître, en raison des services qu’il avait rendus pendant la session des États. Il avait une nombreuse famille à caser ; il s’unit au favori. Villeroy, se sentant menacé, fit une fausse sortie : il se retira d’ans une de ses terres, à Conflans. Il pensait qu’on ne pouvait se passer de lui « et voulait se faire prier. »

Il n’y a pas d’homme indispensable. Villeroy revint, de lui-même, au bout de quinze jours, et alla visiter, le premier, le maréchal d’Ancre, « ce qu’on trouva indigne de lui. » La reine le gronda