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nos facultés morales devient pénible, plus nous aspirons à cette apparence simplifiée du monde que l’art peut donner. » Tout le chapitre qui suit, — et qui a trait à la souffrance apportée dans le monde par tout ce que les hommes ont ajouté d’injustes et folles conventions aux lois les plus naturelles de la vie, — serait également à citer. Il se rattache d’ailleurs d’une manière intime au fond même de la doctrine de Wagner ; et c’est ce que sait bien quiconque à seulement parcouru les écrits du maître. Mais il me faut poursuivre mon sujet, et je ne puis plus que renvoyer le lecteur au livre de Nietzsche. Pour qui ne fit pas l’allemand, j’ajouterai qu’il en a paru une traduction française, malheureusement plus insuffisante encore que ne l’est forcément toute traduction d’une œuvre remarquable par la beauté de la langue. Cette traduction, parfois obscure et incorrecte, est due à Mme Marie Baumgartner, qu’il faut ailleurs féliciter pour l’empressement avec lequel elle a essayé de nous faire connaître Nietzsche, car son travail date de 1871, un an à peine après l’apparition du livre en allemand.


IV

Depuis la date du commencement des travaux pour la salle des fêtes de Bayreuth jusqu’à son inauguration par les représentations de l’Anneau du Nibelung, c’est-à-dire de 1872 à 1876, il y eut une lutte très vive pour et contre Bayreuth. Des associations wagnériennes s’étaient formées dans beaucoup de villes ; mais si haut que Wagner fût déjà arrivé, il n’avait pas encore atteint ces régions où ne regardent plus ni l’envie ni la haine : aussi les journaux de cette époque sont-ils remplis des polémiques les plus ardentes, attaques et panégyriques, qui ont évidemment un intérêt historique et biographique, mais qui n’étaient en somme, d’un côté, que la reprise des idées déjà développées par les premiers écrivains wagnériens, et, d’un autre côté, que la réédition aussi des argumens de plus en plus vieillis et impuissans des adversaires antérieurs.

Il nous a fallu rattacher Nietzsche à la seconde période, non seulement à cause de la date où parurent ses œuvres wagnériennes, mais encore et surtout à cause de la parité intime de ses tendances avec celles des écrivains de cette seconde période ; mais plutôt eût-il fallu le considérer comme une sorte de précurseur, car l’événement qui a été la cause de cette transformation que j’ai sommairement signalée de la littérature wagnérienne, ce fut la réunion à Bayreuth, pour les premières fêtes de 1876, des wagnériens de tous les pays. Il s’opéra alors tout naturellement