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cette corporation ouverte se recrutant incessamment dans le peuple et gouvernant le monde par l’ascendant d’une science supérieure, d’une éducation supérieure, et d’une discipline supérieure, inventant et maintenant un pouvoir particulier à côté et au-dessus de celui de la force. C’est le modèle des vraies aristocraties. Une aristocratie qui n’est pas héréditaire et qui par conséquent ne dégénère jamais, qui se renouvelle de tout ce qu’elle trouve de bon et rend meilleur dans toutes les classes de la société, qui gouverne par une puissance tout intellectuelle et morale, qui n’est pas le peuple et qui sort du peuple, qui par conséquent, sans du peuple garder l’esprit, en connaît les besoins et les tendances, seule sait lui parler, seule peut le convaincre, voilà le clergé du moyen âge. C’est le peuple lui-même se déléguant dans une aristocratie savante qui est lui-même épuré, discipliné, organisé. Cela a existé, par un concours de circonstances étonnantes qui ne se sont produites qu’une fois.

Tout cela s’est déformé et dénaturé peu à peu. — D’abord le catholicisme lui-même s’est écarté de son esprit, non seulement primitif, mais intermédiaire, qui est celui que nous décrivions tout à l’heure. D’aristocratie l’Eglise est devenue monarchie. Elle s’est peu à peu concentrée dans un souverain qui était le pape. Elle est devenue une espèce de monarchie orientale. Elle a ainsi augmenté la distance entre le peuple et elle. Elle s’est séparée de lui. Elle ne l’a plus connu. C’est précisément sa force spirituelle, qui était sa seule vraie force, qu’elle perdait de la sorte. Elle la voulu remplacer par une autre. L’amour des richesses est venu, le souci et la passion de posséder le sol et le numéraire. Dégradation. Vouloir posséder le sol c’est se transformer de puissance spirituelle en puissance temporelle. C’est se renoncer, se déclasser et s’affaiblir. Tous les efforts pour créer des ordres pauvres ne sont pas autre chose qu’un retour instinctif à l’esprit ancien de l’Eglise, et un effort pour retrouver contact avec le peuple, qui échappe. Mais ces efforts sont incomplets. Le corps de l’Eglise continue à être monarchique en sa discipline et pénétré de préoccupations temporelles en son esprit.

Que devient-il à ainsi faire ? Comme on le pouvait prévoir, une simple institution politique, un simple corps d’Etat, un ordre de la nation. Lui, anciennement pouvoir supérieur, il est à peu près au niveau de la noblesse, de la bourgeoisie, et de la magistrature. De fait, c’est très juste. Il n’est plus le seul savant, il n’est plus le seul intelligent, il n’est plus le seul attaché à des préoccupations supérieures ; il possède, simplement, comme la noblesse, comme la magistrature, comme le tiers : il est à leur rang. C’est le pouvoir spirituel qui a disparu.