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dans un petit esprit. C’était un réactionnaire borné, c’était un ultra-catholique. Le tort du catholicisme a toujours été, depuis qu’il s’est constitué, de tenir à être immobile ; il n’évolue pas ; ou plutôt il évolue comme tout au monde ; mais il n’avoue pas qu’il évolue, et cela suffit pour en faire toujours une institution apparemment rétrograde. Il est savant ; mais il prétend toujours que toute la science est dans la Bible, et à chaque découverte nouvelle qui semble contredire la Bible, il commence toujours par nier. Il est artistique ; mais il a toujours quelque scrupule à l’être, et, du fait de ces répugnances plus ou moins exprimées, il se laisse enlever par le paganisme, renaissant de temps en temps, le bénéfice et l’honneur des trésors d’art vrai qu’il contient, etc. — Or, à cette religion immobile Luther a voulu opposer, substituer plutôt, une religion plus immobile encore. Il a prétendu revenir au christianisme primitif. C’était se condamner d’un mot ; car une religion n’étant pas autre chose en son principe que le résumé des conceptions les plus élevées de l’humanité sur le monde entier, n’étant pas autre chose que la science humaine d’où l’humanité tire une conscience, elle doit suivre la marche de la science, de l’humanité cherchant à savoir de plus en plus, et n’est qu’à cette condition ce qu’elle a office d’être, un pouvoir spirituel. Une religion, par suite, doit se proposer toujours un but nouveau, et par exemple, après l’abolition de l’esclavage, l’abolition du servage, et après l’abolition du servage, l’abolition de la misère, et ainsi de suite. Dire qu’on revient au christianisme primitif, d’abord c’est faux, parce qu’on ne revient jamais ; ensuite c’est dire qu’on veut être plus qu’immobile, immobile en prenant son point d’immobilité en un temps dépassé depuis quinze siècles, et en un état d’esprit dépassé depuis cinquante générations. — De plus Luther et ses sectateurs étaient anti-artistiques plus que le catholicisme. Singulier penchant et comme paradoxal au XVIe siècle ! En face d’une religion à laquelle on commence à reprocher, à laquelle on reprochera de plus en plus de n’être pas belle, de n’être pas élégante, de n’avoir pas le caractère esthétique, dresser une religion qui veut avoir encore moins ces caractères-là, c’est ne pas comprendre son temps et ne pas prévoir les temps avenir. — Et enfin, comme, par une gageure de régression et de contre-évolution, Luther s’attache et donne le goût de s’attacher à la Bible qui est « un sot livre, » comme si c’étaient, non pas seulement les origines du christianisme, mais les plus anciennes imaginations humaines, théologiques et autres — et qui ne sont pas du tout les origines du christianisme — que Luther recherchât d’une dilection particulière.

Il a réussi pourtant, dira-t-on. Nullement. En pareille affaire