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qui recherchent un gain bien modeste en facilitant l’approvisionnement des marchés locaux et l’alimentation de l’industrie, se trouveront exposés à des à-coups tels, qu’ils ne pourront y résister. En voici un exemple frappant : quelle sera la situation faite par ces variations à l’infini de notre régime douanier aux soumissionnaires de l’État, soumissionnaires de la Guerre, de la Marine, de l’Administration pénitentiaire, des établissemens d’assistance et d’instruction publiques ? Ils contractent ferme pour un an à un taux déterminé, calculé sur les cours du jour. Un mois après, leur co-contractant, c’est-à-dire le gouvernement, impose un droit nouveau ou majore celui qui existe, et voilà les adjudicataires, qui ne sauraient avoir dès cette époque leur complet approvisionnement, obligés d’acheter au nouveau cours, c’est-à-dire au cours majoré du droit, et d’exécuter leur marché vis-à-vis de l’Etat, au prix fixé et accepté par lui ! Ce serait aussi immoral qu’inadmissible, et nous espérons que cette perspective fera au moins hésiter les apôtres les plus zélés du Catenaccio.

Du reste, toutes les Chambres de commerce, non pas seulement celles des ports, qui sont devenues suspectes et auxquelles on est convenu de faire grief de leur libéralisme éclairé, mais celles des principales villes de l’intérieur de la France : Nancy, Orléans, Roubaix, Reims, Fourmies, Saint-Chamond, etc., ont émis le vœu « qu’un régime économique stable, assurant la sécurité des transactions, fût établi à l’avenir ». Tout récemment, la Chambre de commerce de Lyon est revenue sur les inconvéniens « des surprises en matière commerciale, et elle demande que les modifications aux lois intéressant le commerce ne soient jamais introduites subrepticement dans les conseils du gouvernement. » Enfin, le 20 avril dernier, au banquet annuel de la Chambre de commerce de Paris, l’honorable président, M. Delaunay-Belleville, réclamait énergiquement à M. le président du Conseil et à M. le ministre du Commerce « la stabilité commerciale ; il regrettait la rupture de nos relations commerciales avec la Suisse, si préjudiciable à notre commerce et à notre industrie, et demandait le retour aux traités de commerce. »

Cette opinion des Chambres de commerce est d’autant plus naturelle et fondée que les adjudicataires de l’Etat ne sont pas seuls menacés par le projet du Cadenas, et c’est ici le lieu de fournir quelques explications sur le mode de fonctionnement des maisons de commerce et des établissemens industriels. Les uns et les autres se trouvent dans l’obligation de ne jamais laisser inactifs leurs capitaux et leurs moyens d’action, sous peine de voir l’intérêt des dépenses de premier établissement et d’entretien, l’accumulation des frais généraux et l’inutilisation des forces