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les fruits secs, les eaux-de-vie, les vins, la bière et certains produits fabriqués avec de l’alcool. Il s’agit uniquement, soit de denrées coloniales, soit d’objets de luxe, et les droits ont un caractère purement fiscal, exclusif de toute idée de protection. Le Cadenas n’a donc pour nos voisins d’outre-Manche aucun des inconvéniens qu’il présenterait chez nous. Son application n’entravera jamais l’approvisionnement du pays ni la marche normale du commerce et de l’industrie. Les Anglais se proposent, en recourant à ce système, bien moins d’arrêter la spéculation et d’influer sur les cours du marché intérieur, que d’éviter que l’on ne parvienne, sur un nombre très restreint d’articles d’importation parfaitement déterminés, à frauder le fisc et à éviter le paiement des droits. Il ne faut donc établir aucune comparaison entre les deux pays, si différens l’un de l’autre et quant au régime économique et quant à l’objectif poursuivi. Sans doute, il serait préférable que, chez nous aussi, l’établissement ou le relèvement des droits, — puisque nous ne pouvons y échapper, — profitassent immédiatement au Trésor au lieu de constituer un gain pour les spéculateurs. Mais nous avons à choisir entre la rentrée intégrale des droits à percevoir et la diminution irrémédiable de la matière imposable. La douane, en effet, s’attaque en France à toutes choses ; de trop rares matières premières sont actuellement épargnées, et encore, en l’absence de tout principe analogue à celui qui régit l’Angleterre, sont-elles exposées à subir du jour au lendemain l’atteinte de droits protecteurs. Non seulement le commerce, mais encore l’industrie doit compter avec la douane ; la douane domine tout et règne en maîtresse. Ce qui pour nos voisins ne peut être que l’occasion d’un trouble restreint, limité à une série d’articles connus d’avance, portera ici sur l’ensemble des opérations. L’incertitude et la menace ne planeront pas sur certains marchés et sur certains objets ; elles pèseront partout et sur tout. Qui en souffrira, si le malaise se généralise et s’aggrave après plusieurs applications du Cadenas, si ce n’est l’Etat qui verra diminuer ses revenus, qui aura devant lui, au lieu de patentés présentant des garanties sérieuses et de maisons prospères, des négocians en liquidation et des entreprises en faillite ? Ne serait-ce point tuer la poule aux œufs d’or ?

Ce qui permet de rendre plus instructif encore ce parallèle entre la France et l’Angleterre, c’est de comparer l’importance respective de leur commerce général et des droits de douanes qu’elles encaissent. Le mouvement commercial du Royaume-Uni est de près de 18 milliards, dont 10 600 millions pour les importations et 7 300 millions pour les exportations. Il donne lieu à la perception de 504 millions de droits, y compris les sommes