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porter au fauteuil de la présidence. Comme il n’avait pas eu l’occasion de manifester depuis lors une opinion politique, on croyait qu’il avait conservé les mêmes. C’était une illusion. M. Dupuy s’était, sans qu’on s’en doutât, inspiré d’un esprit qu’il avait renouvelé. M. Casimir-Perier, à son avènement, avait amené une véritable détente. Sa déclaration ministérielle avait paru plus mesurée et plus souple que celle de son prédécesseur. Comment aurait-on pu deviner que M. Dupuy, lui succédant à son tour, tendrait la main aux radicaux et leur demanderait l’oubli du passé ? C’est pourtant ce qui s’est produit.

La composition de son ministère ne donnait par elle-même aucune indication sur la politique de M. Dupuy. Ses collaborateurs étaient modérés, les uns plus, les autres moins, mais tous assez pour qu’on ne vit pas entre eux et le ministère précédent une opposition caractérisée. Cette fois, la déclaration du gouvernement se contentait de dire que les nouveaux ministres étaient des hommes de bonne volonté, qu’ils feraient de leur mieux, et qu’ils protégeraient la viticulture. Les radicaux ont trouvé ces indications insuffisantes, et MM. Goblet et Pelletan ont déposé une demande d’interpellation. Elle a eu lieu. La discussion en a été banale ; le gouvernement, comme dans sa déclaration, s’est appliqué surtout à ne rien dire. Lorsqu’on lui a demandé dans quel esprit il gouvernerait, il a répondu que ce serait dans « l’esprit français », que M. Dupuy a eu sans doute l’intention d’opposer à « l’esprit nouveau » de M. Spuller. Mais l’antithèse a paru vague. Ces passes d’armes à fleuret moucheté n’intéressaient personne : on attendait le ministère au choix qu’il ferait entre les ordres du jour en présence. Là devait se trouver la véritable indication de sa politique. Les modérés du centre avaient présenté, par l’intermédiaire de MM. Georges Berger et Delaunay, un ordre du jour qui semblait devoir donner pleine satisfaction au ministère, car il exprimait une confiance pure et simple dans ses déclarations. M. le Président du Conseil ne s’est pourtant pas contenté de cela. M. Isambert et quelques-uns de ses collègues avaient déposé un autre ordre du jour qui, non content d’approuver les déclarations du gouvernement, lui dictait la politique qu’il devait suivre et qui tendait, par l’union des républicains, à la réalisation des réformes démocratiques et à la défense des droits de la société laïque. Réformes démocratiques, tout le monde convient que cela ne veut rien dire. Mais union des républicains signifie concentration républicaine, et promettre de défendre les droits de la société laïque est une manière d’insinuer que le précédent cabinet a laissé mettre en péril les droits de cette société. Au surplus, nul n’ignorait l’origine de l’ordre du jour de M. Isambert. La veille de la discussion, un certain nombre de membres du groupe des républicains de gouvernement s’étaient réunis, et, sous le nom d’Union progressiste, ils avaient créé un groupe nouveau. Leur but était de se séparer des membres du parti républicain qu’ils