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de constituer un ministère avec le comte Rhuen-Herdervary, puis avec le président de la Chambre, le baron Banffy : ces deux combinaisons ont échoué, M. Wekerlé s’est révélé l’homme indispensable. Son plus vif désir était de ne pas se séparer de M. Szilagyi, ministre de la Justice, jurisconsulte savant et orateur habile, qui a été la cheville ouvrière de la loi sur le mariage civil ; mais la volonté de l’empereur-roi a paru contraire au maintien de M. Szilagyi dans le ministère. De part et d’autre, on a négocié avec une commune bonne volonté de s’entendre. François-Joseph a pu croire un moment que le club libéral avait la prétention de mettre entrave à la liberté qu’il a de choisir ses ministres, et il s’en est montré offensé ; toute satisfaction lui a été donnée à ce sujet, au moins en paroles. Sa pleine liberté a été reconnue et proclamée ; après quoi, il a laissé M. Wekerlé libre de conserver M. Szilagyi. Dans ces conditions la crise devait se dénouer vite. M. Wekerlé s’est présenté à la Chambre des députés, et il a annoncé, au milieu d’applaudissemens enthousiastes, que l’empereur-roi partageait le sentiment de ses ministres au sujet de l’obligation du mariage civil. François-Joseph est prêt à donner une preuve de sa loyauté en nommant trois membres nouveaux à la Chambre des magnats. Il est probable que l’opposition de cette Chambre ne se maintiendra pas davantage et que, grâce à la fermeté de M. Wekerlé, la Hongrie sera enfin dotée d’une réforme que tous les esprits libres et quelques-uns des plus éminens y poursuivent depuis longues années.


À Rome, la situation est plus délicate. L’origine de la crise est connue. M. Crispi, sentant que sa majorité s’effritait de plus en plus en face de ses exigences, a voulu jouer le grand jeu. L’opposition lui demandait des économies et elle assurait qu’il était facile d’en faire : il a cru habile de la prendre au mot et de mettre la Chambre en demeure de trouver elle-même les économies réalisables. Une commission devait être nommée, qui, d’ici à la fin du mois, les rechercherait et les proposerait. Qu’attendait M. Crispi de cette proposition inopinée ? Il pensait que, de deux choses l’une : ou bien la Chambre assumerait, en effet, la responsabilité des suppressions administratives à faire ; ou bien elle hésiterait, elle reculerait dans une œuvre nécessairement impopulaire et elle aboutirait à la constatation de sa propre impuissance. De là à lui accorder à lui-même les pleins pouvoirs qu’il sollicite, il n’y avait qu’un pas. M. Crispi avait tout prévu, sauf ce qui est arrivé : sa proposition a été adoptée, mais à une majorité si faible, sans parler des abstentions, qu’il s’est senti du coup très affaibli. Il a préféré donner sa démission et constituer un nouveau cabinet.

Il est trop patriote et il a une trop grande idée de lui-même pour avoir même songé, un instant, à priver son pays de ses services. Loin de