une jouissance amère et un plaisir distingué. L’ironie est un genre difficile. Ce n’est pas un mince mérite pour les jeunes écrivains que d’y exceller. Quelques-uns s’en sont fait une spécialité. Ils sont proprement des « ironistes », c’est-à-dire qu’ils appliquent à tout sujet, indistinctement, une gouaillerie continue et sans nuances. Mais ceux qui ne sont pas des professionnels de l’ironie ont encore en ce genre des trouvailles délicieuses. Écoutez plutôt comme M. Louis Lormel parle de ceux qu’il nomme, avec un sourire d’affabilité, ses aimables contemporains. « C’est charmant, assure son biographe, d’entendre ce doux nihiliste énoncer : « S’il n’était des lois prohibitives, sanctionnées de sûrs châtimens, je lancerais du haut d’un cinquième des « pavés sur la tête des passans. » Cela sans nul coup de gueule, mais d’une voix timide plutôt ; sans, non plus, nulle loquacité de gestes dont il répudie le mauvais goût. » Ne trouvez-vous pas en effet que cela est d’un goût excellent et d’une gentillesse tout à fait charmante ?
Il nous reste à recueillir les renseignemens qu’on nous donne sur l’œuvre de ces messieurs, sur leurs idées, leurs projets, leur méthode de travail. Voici un premier fait dont la constatation ne va pas sans causer d’abord quelque surprise ; mais il faut y insister, car il semble bien que nous touchions ici à quelque chose d’essentiel et de caractéristique. Ces écrivains impeccables, ces purs artistes, ces poètes prodigieux, ces stylistes prestigieux, — pour la plupart ils n’ont jamais rien écrit. Cela est digne de remarque. Sans doute Il faut faire des exceptions. On sait, par exemple, que M. Paul Adam est d’une extrême fécondité. Quelques-uns aussi ont fait imprimer des plaquettes, de format généralement excentrique, avec de grandes marges et beaucoup de blancs. Mais le format ne fait rien à l’affaire. Tirées à petit nombre, ces plaquettes sont le plus souvent introuvables, ce qui en augmente le prix. Ils sont encore les auteurs d’un poème annoncé, d’un roman en préparation, ou d’un volume impatiemment attendu. Ils ont composé une nouvelle, à moins qu’ils n’en aient seulement esquissé le plan. Ils ont rédigé une note, ou ils y songent. Ils ont promis une page. Tels ont pour titres littéraires d’avoir collectionné des estampes japonaises. Plusieurs n’écriront jamais rien. Ce sont, paraît-il, les mieux doués ; ce sont, en tout cas, les plus consciencieux et les plus fiers. Car on abaisse son rêve en le réalisant. Et parce que la langue reste forcément insuffisante, malgré toutes les tortures qu’on peut lui faire subir, en traduisant sa pensée on la trahit. Tous les poètes ont dit que leurs meilleurs vers étaient ceux qu’ils n’avaient pas écrits. Les poètes nouveaux ont fait beaucoup de ces meilleurs vers-là. C’est déjà La Bruyère qui parlait avec tristesse de telles gloires hautaines qui s’évanouissent dès qu’elles se laissent approcher. « L’impression, disait-il, est l’écueil. » Jules Laforgue et Arthur Rimbaud le savaient bien qui n’eurent garde de rien publier de leur vivant. Ils méritèrent par là de devenir des maîtres. On ne discute Mallarmé