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vraie nature, est moins une adhésion de l’intellect à certains dogmes qu’une faculté morale et affective. Nous devons appliquer cette faculté, non pas aux symboles dogmatiques qui nous divisent, mais aux objets mêmes de la religion, sur lesquels on est unanime : Dieu, — le Christ, — la vie éternelle. »

Il est évident que cet accord des grandes confessions chrétiennes sur la base d’une foi essentiellement morale faciliterait l’accès du christianisme aux païens, car il y a, comme on l’a vu tout à l’heure, dans les grandes religions de l’Asie, des affinités remarquables pour le théisme et la morale de l’Évangile. Les docteurs chrétiens d’Alexandrie avaient très bien vu cela au IIIe siècle, et ils expliquaient ces affinités entre l’Hellénisme et l’Évangile par la théorie du « Logos » ou Verbe divin. C’est ce qu’a rappelé M. Max Müller dans une lettre adressée d’Oxford au pasteur Barrows, et qui a été lue au congrès : « Cette doctrine du Logos, écrivait-il, est à la base de la plus ancienne théologie chrétienne ; elle-même repose sur le quatrième Évangile et sur maint passage des Synoptiques, mais n’a été complètement élaborée que par Clément d’Alexandrie et par Origène… Si nous voulons être d’authentiques et honnêtes chrétiens, il nous faut remonter jusqu’à ces autorités antérieures au concile de Nicée, car ce sont là les véritables pères de l’Église. C’est sur cette base antique, qui a été si étrangement négligée, — sinon rejetée de propos délibéré à l’époque de la Réformation, — que seront possibles un véritable réveil de la religion chrétienne et une réunion de toutes ses branches. »

Nous ne partageons pas l’optimisme de l’illustre auteur de la Science des religions, et nous ne croyons pas à l’union des Églises sur la base d’un credo théologique ou d’un sacrement. En effet, chaque église, chaque nation, chaque école de théologiens verra toujours les doctrines capitales de l’Évangile sous son angle particulier et ne sera guère disposée à les sacrifier. D’ailleurs les générations actuelles demandent toujours moins de théologie et toujours plus de sentiment religieux ; toujours moins de dogmes et de rites, et toujours plus de morale en action : il y a une tendance en religion, comme dans les affaires, à supprimer les intermédiaires. Ce qui est désirable, c’est non pas l’unité dogmatique ou rituelle, mais l’union des efforts moraux et sociaux, par l’harmonie des adorations. Ce après quoi soupirent les âmes généreuses, c’est à une libre communication avec le Dieu de miséricorde et d’amour, c’est à une solidarité plus réelle avec nos semblables qui souffrent. Aussi MM. Hulbert et Freemantle ont eu mille fois raison, selon nous, de dire qu’il est temps d’affranchir la foi de la tutelle des symboles dogmatiques et qu’il faut, pour la réveiller, la laisser