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et de la fantaisie personnelles, ce que les meilleurs et les plus intelligens parmi les citoyens d’une république appellent la liberté de tous. Il est instructif d’y songer. Puissions-nous cependant, malgré le progrès social, n’arriver jamais à la même rigueur, puissions-nous laisser toujours des mendians sous le porche de nos églises en souvenir des belles légendes chrétiennes de la pauvreté. Une église qui n’a point dans ses bas-côtés quelques déguenillés admis sans conteste à prier avec les riches ne saurait être tout à fait à nos yeux la maison du Seigneur. En Amérique, protestans et catholiques m’ont dit qu’il était facile aux pauvres décens et respectables d’obtenir des vêtemens propres pour assister aux offices ; mais à qui n’est pas « respectable » défense est-elle donc faite de prier ou seulement de se réchauffer tout en écoutant le chant de l’orgue, tout en recueillant presque sans le savoir ce qui tombe de la bonne parole ? Le vieux moyen âge concevait une sorte de liberté que n’ont point les pays purement modernes, et nous devons souhaiter d’en garder toujours les vestiges au milieu de nos acquisitions démocratiques.

Les établissemens correctionnels ne sont pas les seuls qu’on ait installés dans les îles voisines de Boston ; les poor-houses, les dépôts de mendicité sont relégués aussi à Long Island. Jamais je n’oublierai l’impression produite sur moi un matin du printemps dernier par l’aspect tout ensoleillé du port. au-delà des nombreux navires à l’ancre, les îles apparaissaient semées pittoresquement très près les unes des autres ; cet archipel semblait n’avoir d’autre but que d’ajouter à la beauté du panorama qui, des côtes découpées, déchiquetées, en promontoires, en péninsules, s’étend jusqu’à la baie du Massachusetts et s’y perd dans le bleu. Je savais cependant que chacune de ces taches était le réceptacle des immondices morales dont la ville est rigoureusement purgée, qu’on refoulait là-bas le vice et la mendicité ; je savais aussi qu’un scandale venait d’éclater à Boston révélant des abus fâcheux dans l’administration de ces tristes asiles. Et si justice a été faite c’est grâce, cette fois encore, au cri d’alarme poussé par une femme. À Mrs Lincoln appartient l’honneur d’avoir dénoncé ce qui se passait dans l’hôpital des pauvres de Long Island, et l’enquête a révélé force détails odieux.

Mr et Mrs Lincoln, des gens de bien sans cesse mêlés aux grandes charités bostoniennes, osent à l’occasion soulever le voile épais jeté en Amérique sur les vilaines choses dont on ne parle pas. L’œuvre à laquelle ce couple de philanthropes s’est particulièrement attaché est celle des logemens d’ouvriers ; un gros problème ! Le tenement house, où grouillent côte à côte de nombreux