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pauvres, l’association fonctionna avec une ardeur exceptionnelle aussi. Dans la discussion des cas d’indigence examinés devant moi, le rôle joué par une des dames présentes, miss A… m’a surtout impressionnée. Le genre de charité qu’elle exerce prouve combien l’étude des langues contribue à élargir le cœur et l’esprit, multipliant chez chacun de nous pour ainsi dire des âmes diverses. Si elle ne comprenait pas toutes les langues de l’Europe, miss A… serait une puritaine de Boston pesant le bien et le mal dans les balances d’une justice rigoureuse ; mais elle est devenue le truchement attitré des étrangers misérables. Elle s’est faite l’avocat de leurs besoins, de leurs sentimens, qui ne peuvent se transformer d’un jour à l’autre par l’effet de l’atmosphère nouvelle qu’ils respirent. Les Italiens en particulier sont ses enfans ; elle leur donne ce qu’elle peut de la patrie absente ; elle les écoute, elle se livre personnellement au blâme en excusant ce qu’il y a de plus répréhensible chez ces pauvres épaves qui, dans les faubourgs de Boston, se rappellent trop Naples ou Palerme. J’ai dit que tout le monde s’occupait des bons pauvres. Miss A… est peut-être seule à s’intéresser aux mauvais, à les aimer pour leurs péchés et pour leurs faiblesses. Appartenant moi-même au vieux monde corrompu d’où viennent les émigrans, je lui en reste reconnaissante comme si j’étais l’un d’entre eux.


VII. — LES « COLLEGE SETTLEMENTS ». — LEÇONS DE REPOS. — LA SCIENCE CHRÉTIENNE. — LES FADS BOSTONIENS.

Il va sans dire que cet esprit public si généralement américain se manifeste surtout chez les personnes mures, affranchies plus ou moins par le célibat ou le veuvage des devoirs de la ménagère, et chez les mères de famille à qui l’école, où tous les enfans sont envoyés sans exception, laisse de longues heures de liberté ; cependant il n’est point absent chez les jeunes filles. Je voudrais que les nôtres pussent voir tout ce qui remplit la vie de leurs sœurs d’Amérique, en plus du fameux flirt, et très souvent à son exclusion. D’abord, bien entendu, elles appartiennent presque toutes à plusieurs clubs, — on ne serait rien sans cela ; — et les travaux d’un club ne laissent pas que d’être absorbans. Ils sont à la fois d’un ordre intellectuel et charitable ; les membres d’un de ces clubs de jeunes filles n’ont-ils pas joué naguère une tragédie de Sophocle ? L’exemple vient de Harvard, où les étudians, vers la fin du séjour que je fis à Boston, jouaient Térence en latin avec toutes les recherches d’un savant archaïsme : ces demoiselles se sont tenues modestement, et je m’en étonne, aux traductions du grec.