Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de forces superflues, à écouter et à regarder sans tension inutile, à causer sans caqueter à outrance, à diriger sa voix d’après les principes d’une saine physiologie, à ne pas coudre avec sa nuque, à ne point provoquer la crampe en écrivant, etc. Le chapitre le plus instructif, pour nous autres Françaises, du degré de surexcitation où peut arriver une Américaine est celui qui traite des fausses émotions : passion des élèves pour leur institutrice ; attachemens morbides des jeunes filles entre elles ; amours artificielles qui ne sont que l’amour de l’émotion, non pas celui de la personne ; bref, pour tout traduire en un mot expressif qui résume le summum de la surexcitation nerveuse et la perte de tout empire sur soi-même : l’ivresse sèche. — En lisant ces pages on sent avec plaisir que la France est le pays du naturel et on se met à apprécier cette créature de bon sens, Henriette, qui nous avait toujours paru terre à terre à l’excès avant la traversée de l’Atlantique. Exagérer le devoir jusqu’au pédantisme et le sentiment de soi-même jusqu’à l’obsession, voilà des défauts auxquels Molière n’avait jamais pensé ! Nous ne possédons pas d’expression équivalente à self-conscionsness, qui peint un état d’âme sorti du puritanisme. L’incessant examen de conscience nous est étranger, la religion catholique habitue celles qui la pratiquent à se laisser conduire ; il en résulte, morale à part, une certaine grâce timide et une aimable méfiance de soi.

Miss Gall soigne l’âme et le corps, car elle nous dit qu’une dame vint la consulter pour guérir un excès de susceptibilité ; elle lui recommanda, toutes les fois qu’un mot la blesserait, de se figurer que ses jambes étaient lourdes, ce qui devait produire un relâchement des muscles, un dégagement des nerfs, et soulager la tension causée par sa trop grande impressionnabilité. Il paraît que l’ordonnance fit merveille, ce procédé tout extérieur aidant l’esprit de la malade à s’élever vers une plus haute philosophie. Nous comprenons mieux les conseils suivans : « — Ne résistez jamais à un ennui ; il est grossi par l’effort que vous faites pour le surmonter. — Le corps doit être dressé à obéir à l’esprit, l’esprit doit être dressé à donner au corps des ordres qui méritent d’être suivis. — Evitez la trop grande préoccupation de vous-même, la folie n’étant peut-être que de l’égoïsme monté en graine. — Plus vous employez le mot je, plus augmente en vous la maladie nerveuse. — Prenons tranquillement tout ce que la nature est constamment prête à nous donner et usons-en pour l’objet qu’elle nous propose qui est toujours le plus vrai et le meilleur ; nous vivrons ainsi comme vit un petit enfant, avec la sagesse en plus. »