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gagner le temps pour assembler force de troupes de ses alliés pour pousser la guerre au Rhin, en Italie et autres points contre la France. Je remets ceci à votre discrétion afin que vous vous y preniez avec toute la prudence possible[1]. »

Il n’était pas croyable, on en conviendra, que ce hardi donneur de conseils se fît illusion sur les conséquences du parti d’audace qu’il recommandait ; on ne pouvait penser qu’il supposât sérieusement qu’une armée française pût ainsi traverser l’Allemagne au pas de course sans exciter aucun ombrage, ni rencontrer aucune résistance ; il était donc assez naturel d’espérer qu’il serait disposé à prendre sa part des périls et des difficultés qu’il ne pouvait manquer de prévoir, et en tout cas, il n’y avait rien d’excessif, puisqu’il jugeait l’opération si facile, à lui demander de s’y associer. Tel fut, en effet, le fond de la réponse que le conseil de Louis XV fit à la communication du ministre prussien, et je m’étonnerais que lui, aussi bien que son maître, ne s’y fussent pas attendus. On prit (peut-être on feignit de prendre) l’initiative si hardiment conseillée comme le point de départ d’un plan concerté d’opérations militaires pareil à celui qui avait été combiné à plusieurs reprises pendant la guerre précédente. La communauté d’intérêts encore reconnue entre les deux cours de France et de Berlin, aussi bien que l’aigreur croissante des relations de Frédéric avec le roi d’Angleterre et l’éclat qu’il y avait donné, auraient présenté cette fois encore une explication suffisante de cette association. Dès lors, si on convenait d’agir en commun, voici comment les rôles pourraient être partagés : du moment où on serait convenu d’envahir le Hanovre par un coup de main, le voisinage rendait l’exécution d’un tel plan plus facile à l’armée prussienne qu’à la française ; les frais seraient ainsi moins considérables, et la Prusse les couvrirait aisément par les contributions de guerre, qu’il était et qu’il est même encore aujourd’hui dans le droit des belligérans de percevoir. Le roi de Prusse se chargerait donc de cette partie de l’œuvre commune, tandis que la France, portant le gros de ses troupes sur le Rhin ou sur la frontière des Pays-Bas, empêcherait l’Autriche de bouger et se tiendrait prête à intervenir à l’ombre même d’une résistance.

Tel fut le dessein proposé à Knyphausen par le ministre de la guerre d’Argenson ; et on offrait en même temps, si l’idée générale était agréée, d’envoyer à Berlin pour régler les détails le meilleur général de l’armée française. Hélas ! ce n’était plus Maurice de Saxe : une mort prématurée venait de l’enlever à la

  1. Frédéric à Knyphausen, 5 avril 1755, Pol. Corr., t. XI, p. 106.