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désobligeante à coup sûr, mais à la suite de laquelle, au lieu d’être arrêté, il a reçu les excuses des agens. Bien plus ! il a poursuivi son calomniateur devant les tribunaux correctionnels et l’a fait condamner, ce qui prouve qu’il y a encore des juges en France. On voit que le mal n’est pas aussi grand que l’imagine la presse radicale. Le spectre de la police n’est pas aussi terrifiant qu’elle le présente. Au reste, la police elle-même, si elle fit les journaux qui l’attaquent, peut avoir ses momens d’ironie et de douce consolation. Pendant vingt-quatre heures tous ces journaux ont raconté et commenté un scandale inouï. Un conseiller municipal, de Paris s’il vous plaît, s’étant livré dans un café à des propos jugés séditieux, avait été arrêté. C’était bien d’une arrestation qu’il s’agissait cette fois. On donnait les détails les plus précis sur les circonstances qui avaient accompagné cet odieux attentat à la liberté municipale, et un journal allait même jusqu’à publier le menu du déjeuner qui avait été servi au prisonnier à la Conciergerie. Comment douter du fait, après cela ? M. Zola ne procède pas autrement pour donner un grand air de vraisemblance à ses récits. De plus, sept citoyens du quartier se sont transportés au bureau de rédaction d’un autre journal pour confirmer l’arrestation de leur conseiller municipal : ils l’avaient vue de leurs yeux. Et pourtant, — à qui se fier ? — il n’y avait pas un mot de réel dans tout ce roman. Les reporters ont couru à la Préfecture de police : on s’est moqué d’eux. Ils ont couru chez le conseiller municipal, et l’ont trouvé qui vaquait tranquillement à ses affaires. Il a même opposé le démenti le plus formel à tous les bruits qui couraient sur son compte, et le meilleur des démentis était de se montrer en liberté. Croit-on que les journaux radicaux aient laissé tomber cette affaire ? Point du tout ! Ils ont continué d’affirmer que le conseiller municipal avait été arrêté, et ils insinuent que, s’il le nie, il doit avoir pour cela quelque raison obscure. C’est ainsi qu’on écrit l’histoire dans une certaine presse, qui a son siège fait et n’en démordra pas.

Le pays, on l’a vu, ne s’y laisse pas tromper. Il ne se croit pas plus sous la Terreur que le conseiller municipal en question ne se croit sous les verrous, et s’il a le sentiment que la situation générale n’est pas très bonne, ce n’est pas pour les motifs que donnent les radicaux. Il continue de se demander quelle est la politique du gouvernement actuel, sans parvenir à la bien démêler. L’action administrative s’exerce à la fois dans les sens les plus divers, suivant l’humeur particulière et le caractère de chaque préfet. Les gens impartiaux signalent des actes tout à fait dignes d’éloge, puis, tout à côté, des complaisances ou des défaillances en sens contraire. M. Dupuy a été malade : il est heureusement remis de son indisposition, et il tiendra peut-être à imprimer dorénavant une orientation plus nette à sa politique. Il a oscillé jusqu’ici entre les radicaux et les modérés, donnant tantôt de