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France, au moment où son concours lui aurait été le plus nécessaire ; mais on espérait que sa place serait dignement remplie par son ami, son élève, le compagnon de ses derniers exploits, le Danois Lowendahl. Du reste, en proposant avec une confiance amicale ce projet d’entente, on s’était abstenu avec soin de tout ce qui aurait eu un caractère d’exigence trop absolue et de tout ce qui aurait ressemblé à un ton de hauteur et de commandement. « Le ministre m’a dit, écrivait Knyphausen, qu’il savait bien que les engagemens que la France avait avec V. M. étaient fort généraux et qu’ils ne portaient sur aucun point en particulier, mais que les intérêts des deux cours étaient si étroitement liés qu’il était persuadé qu’elle y serait toujours portée lorsqu’il y serait question d’agir contre leurs ennemis communs[1]. »

Mais Frédéric n’avait nullement fait son compte d’être associé à l’aventure qu’il conseillait à la France de courir, et ce fut avec l’embarras visible d’être pris trop au sérieux et serré de trop près qu’il répliqua à Knyphausen : « Quant au propos que M. de Rouillé vous a tenu, touchant l’expédition à faire dans les États de Hanovre en cas que la guerre soit inévitable, je vous dirai que, si ce ministre revient à la charge pour vous en parler, vous lui répondrez dans les termes les plus doux et les plus ménagers que je prendrai toujours toute la part imaginable à ce qui regarde la France ; mais pour ce qui concerne cette diversion à faire de ma part, la chose était plus aisée à projeter qu’elle était difficile (sic) à exécuter à mon égard. Vous ferez observer à M. de Rouillé que j’avais chaque été 60 000 Russes en Courlande sur les confins de la Prusse, ce qui n’était pas un petit objet ; que, de plus, les Saxons avaient pris des engagemens avec l’Angleterre ; que du troisième côté la cour de Vienne pouvait assembler au moins 80 000 hommes sur mes frontières et, qu’en quatrième lieu je n’étais pas jusqu’à présent bien assuré des intentions, ni du Danemark, ni de la Porte Ottomane, et qu’à moins de me voir puissamment épaulé d’un côté, il me serait impossible de me charger de tout le poids de la guerre… » Suivait une allusion à l’abandon où il avait été plusieurs fois laissé par la France, au cours d’expéditions tentées en commun : mais il était recommandé de n’en rappeler le souvenir qu’en termes bien doux et qui ne sentiraient pas le moindre reproche[2].

C’est sans doute de cette négociation à peine ébauchée que Frédéric, dans son Histoire de la guerre de Sept ans, a eu l’intention de rendre compte en des termes dont on va juger l’exactitude :

  1. Knyphausen à Frédéric, 25 avril 1755 (Ministère des Affaires étrangères).
  2. Frédéric à Knyphausen, 6 mai 1755 (Pol. Corr.. t. XI. p. 143).