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Alexandre dont il s’était institué le correspondant secret à Paris[1].


IV

Grâce à ses perfides et constantes insinuations, l’amitié entre Alexandre et Napoléon ne cesse de se refroidir et d’être troublée par la méfiance. Les relations demeurent tendues, incertaines. Elles se rompent à la suite du divorce. Napoléon avait demandé cette fois, formellement, à Alexandre, la main de sa sœur. Il ne s’agissait plus de la princesse Catherine que l’impératrice mère s’était hâtée de marier au prince George d’Oldenbourg, « afin de la soustraire à l’opprobre de partager la couche de l’infâme usurpateur corse », mais de la grande-duchesse Anne, qui allait entrer dans sa seizième année. Si Alexandre avait accueilli avec promptitude cette demande, tous les malentendus se dissipaient incontinent ; l’alliance de Tilsit se consolidait par un lien étroit de famille et les deux empereurs unis devenaient les arbitres du genre humain.

Napoléon exigeait une réponse dans les quarante-huit heures. Alexandre réclama dix jours de réflexion, puis dix encore, enfin il donna un non enguirlandé de regrets polis. « N’ayant pu accorder à l’empereur Napoléon comme garant de son amitié l’une de ses sœurs, il élèverait ses frères dans le sentiment de l’alliance et des intérêts communs des deux États (4 février 1810). » Napoléon, a-t-on dit, aurait dû patienter ; il aurait fini par venir à bout de ce refus, imposé par la volonté de l’impératrice mère. En vérité, on ne pouvait demander au vainqueur d’Austerlitz et de Friedland de se morfondre comme un blanc-bec famélique en quête d’une dot opulente. Il se sentit joué, offensé, et il eut raison.

Quelques critiques ont douté que, dans une solennelle réunion, où Napoléon eut le tort de le convier, Talleyrand se fût prononcé contre le mariage russe. C’est cependant certain, et il n’y a pas de quoi surprendre.

Le mariage autrichien avait été inventé par Metternich pour empêcher une alliance durable entre Napoléon et le Tsar. Cambacérès avait deviné cette arrière-pensée. « Pourquoi donc, lui

  1. Mémoires, t. I, p. 321 : « A tout hasard, j’avais fait ce qui dépendait de moi pour obtenir la confiance de l’empereur Alexandre, et j’y avais réussi assez même pour que, dès ses premières difficultés avec la France, il m’envoyât le comte de Nesselrode, conseiller de l’ambassade de Russie à Paris, qui, en entrant dans ma chambre, me dit : « J’arrive de Pétersbourg ; je suis officiellement employé du prince Kourakin, mais c’est auprès de vous que je suis accrédité. J’ai une correspondance particulière avec l’empereur, et je vous apporte une lettre de lui. »