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bien informé ont leur prix. Mais celle-ci n’intéresse réellement que l’histoire des classes, non pas la genèse des castes.

Confondre les unes avec les autres, c’est, à mon avis, tout brouiller. J’en ai déjà indiqué plusieurs raisons. La classe et la caste ne se correspondent ni par l’étendue, ni par les caractères, ni par les tendances natives. Chacune, parmi les castes mêmes qui se rattacheraient à une seule classe, est nettement distinguée de ses congénères ; elle s’en isole avec une âpreté que ne désarme aucun souci d’une unité supérieure. La classe sert des ambitions politiques ; la caste obéit à des scrupules étroits, à des coutumes traditionnelles, tout au plus à certaines influences locales, qui n’ont d’ordinaire aucun rapport avec les intérêts de classe. Avant tout, la caste s’attache à sauvegarder une intégrité dont la préoccupation se montre ombrageuse jusque chez les plus humbles. C’est l’écho lointain de luttes de classes qui, transmis par la légende, retentit dans la tradition. Les deux institutions ont pu, par la réaction des systèmes sur les faits, devenir solidaires ; elles n’en sont pas moins essentiellement indépendantes. La répartition hiérarchique de la population en classes est un fait presque universel ; le régime des castes est un phénomène unique. Que l’ambition brâhmanique en ait tiré parti pour mieux asseoir sa domination, c’est possible. Ce n’est pas évident. Il a existé des théocraties qui n’avaient pas pour base un régime de castes. Si la théorie a identifié les deux ordres d’idées, c’est un fait secondaire : nous l’avons vu par la critique même de la tradition. Pour comprendre le développement historique, il les faut distinguer soigneusement, sauf à s’enquérir comment les deux courans ont pu finalement se confondre. La spéculation sacerdotale a interposé entre les faits et notre regard un système artificiel. Gardons-nous de prendre pour le spectacle le rideau qui nous le dérobe.

Il peut paraître très simple de dériver, à la façon brâhmanique, un nombre infini de groupes du fractionnement successif de larges catégories primitives. Comment ne pas voir que ce morcellement s’inspire d’intérêts et de penchans directement opposés à l’esprit de classe, qui devrait bien plutôt resserrer sans cesse le faisceau ? Soumise à des principes d’unification variables, géographiques, professionnels, sectaires, etc., la caste se montre invariablement insensible aux considérations d’ordre général. L’esprit de classe ne rend compte d’aucune des particularités, d’aucun des scrupules qui font l’originalité de la caste, qui, même entre des groupes qui relèveraient en somme d’une classe commune, dressent tant et de si hautes barrières.

Ces systèmes posent donc mal la question ; ils partent d’un