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ancienne. Par sa masse qu’elle interpose, par l’exemple de ses institutions très rudimentaires, par la facilité même avec laquelle ces institutions se fondent dans l’organisation assez sommaire des immigrans, elle oppose un obstacle de plus à la constitution d’un pouvoir politique véritable. Donc nul rudiment d’Etat.

Dans cette confusion, la classe sacerdotale a seule, en dépit de ses fractionnemens, gardé un solide esprit de corps ; seule elle est en possession d’un pouvoir tout moral, mais très efficace. Elle en use pour affermir et pour étendre ses privilèges ; elle en use aussi pour établir, sous sa suprématie, une sorte d’ordre et de cohésion. Elle généralise et codifie l’état de fait en un système idéal qu’elle s’efforce de faire passer en loi. C’est le régime légal de la caste. Elle y amalgame la situation actuelle avec les traditions tenaces du passé où la hiérarchie des classes a jeté les fondemens de sa puissance tant accrue depuis.

Sorti d’un mélange de prétentions arbitraires et de faits authentiques, ce système devient, à son tour une force. Non seulement les brâhmanes le portent comme un dogme dans les parties du pays dont l’assimilation se fait à une date tardive ; partout, grâce à l’autorité immense qui s’attache à ses patrons, il réagit par les idées sur la pratique. L’idéal spéculatif tend à s’imposer comme la règle stricte du devoir. Mais, des faits à la théorie, il y avait trop loin pour qu’ils aient pu jamais se fondre complètement.

Ce qui nous intéresse, c’est le chemin qu’a suivi l’institution dans sa croissance spontanée. Je puis donc m’arrêter ici.

La caste est, à mon sens, le prolongement normal des antiques institutions aryennes, se modelant à travers les vicissitudes que leur prépara le milieu qu’elles rencontrèrent dans l’Inde. Elle serait aussi inexplicable sans ce fond traditionnel qu’elle serait inintelligible sans les alliages qui s’y sont croisés, sans les circonstances qui l’ont pétrie.

Que l’on m’entende bien ! Je ne prétends pas soutenir que le régime des castes, tel que nous l’observons aujourd’hui, avec les sections infinies, de nature, de consistance diverses, qu’il embrasse, ne contienne rien que le développement logique, purement organique, des seuls élémens aryens primitifs. Des groupes d’origine variée, de structure variable, s’y sont introduits de tout temps et s’y multiplient encore : clans d’envahisseurs qui jalonnent la route des conquêtes successives ; tribus aborigènes sorties tardivement de leur isolement farouche ; fractionnemens accidentels soit de castes proprement dites, soit de groupes assimilés. Il y a plus : ces mélanges qui, aggravés de combinaisons multiples, donnent à la caste de nos jours une physionomie si