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Sur Titien, Raphaël et Corrège, voir Mengs… Il y a un travail à faire là-dessus.

Il y a des gens qui ont naturellement du goût, mais chez ceux-là même il s’augmente avec l’âge et s’épure. Le jeune homme est pour le bizarre, pour le forcé, pour l’ampoulé. N’allez pas appeler froideur ce que j’appelle goût. Ce goût que j’entends est une lucidité de l’esprit qui sépare à l’instant ce qui est digne d’admiration de ce qui n’est que faux brillant. En un mot, c’est la maturité de l’esprit.

Chez Titien commence cette largeur de faire qui tranche avec la sécheresse de ses devanciers et qui est la perfection de la peinture. Les peintres qui recherchent cette sécheresse primitive toute naturelle dans des écoles qui s’essayent et qui sortent de sources presque barbares sont comme des hommes faits qui, pour se donner un air naïf, imiteraient le parler et les gestes de l’enfance. Cette largeur du Titien, qui est la fin de la peinture, est aussi éloignée de la sécheresse des premiers peintres que de l’abus monstrueux de la touche et de la manière lâche des peintres de la décadence de l’art. L’antique est ainsi.

J’ai sous les yeux maintenant les expressions de l’admiration de quelques-uns de ses contemporains. Leurs éloges ont quelque chose d’incroyable : que devaient être en effet ces prodigieux ouvrages, dans lesquels aucune partie ne portait de traces de négligence, mais dans lesquels, au contraire, la finesse de la touche, le fondu, la vérité et l’éclat incroyable des teintes étaient dans toute leur fraîcheur, et auxquels le temps ni les accidens inévitables n’avaient encore rien enlevé ! Arétin, dans un dialogue instructif sur les peintures de ce temps, après avoir détaillé avec admiration quantité de ces ouvrages, s’arrête en disant : « Mais je me retiens et passe doucement sur ses louanges, parce que je suis son compère et parce qu’il faudrait être absolument aveugle pour ne pas voir le soleil. »

Il dit après et je pourrais le mettre avant : « Notre Titien est donc divin et sans égal dans la peinture, etc. » Il ajoute : « Concluons que, quoique jusqu’ici il y ait eu plusieurs excellens peintres, ces trois méritent et tiennent le premier rang : Michel-Ange, Raphaël et Titien. »

… Je sais bien que cette qualité de coloriste est plus fâcheuse que recommandable auprès des écoles modernes, qui prennent la recherche seule du dessin pour une qualité et qui lui sacrifient tout le reste. Il semble que le coloriste n’est préoccupé que des parties basses et en quelque sorte terrestres de la peinture ; qu’un beau dessin est bien plus beau quand il est accompagné