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d’une couleur maussade ; et que la couleur n’est propre qu’à distraire l’attention, qui doit se porter vers des qualités plus sublimes qui se passent aisément de son prestige. C’est ce qu’on pourrait appeler le côté abstrait de la peinture, le contour étant l’objet essentiel ; ce qui met en seconde ligne, indépendamment de la couleur, d’autres nécessités de la peinture, telles que l’expression, la juste distribution de l’effet et la composition elle-même.

L’école qui imite avec la peinture à l’huile les anciennes fresques commet une étrange méprise. Ce que ce genre a d’ingrat, sous le rapport de la couleur et des difficultés matérielles qu’il impose à un talent timide, demande chez le peintre une légèreté, une sûreté, etc. La peinture à l’huile porte au contraire à une perfection dans le rendu qui est le contraire de cette peinture à grands traits ; mais il faut que tout y concorde, la magie des fonds, etc. C’est une espèce de dessin plus propre à s’allier aux grandes lignes (de l’architecture dans des décorations qu’à exprimer les finesses et le précieux des objets. Aussi le Titien, chez lequel le rendu est si prodigieux, malgré l’entente large des détails, a-t-il peu cultivé la fresque. Paul Véronèse lui-même, qui y semble plus propre par une largeur plus grande encore et par la nature des scènes qu’il aimait à représenter, en a fait un très petit nombre.

Il faut dire aussi qu’à l’époque où la fresque fleurit de préférence, c’est-à-dire dans les premiers temps de la renaissance de l’art, la peinture n’était pas encore maîtresse de tous les moyens dont elle a disposé depuis. À partir des prodiges d’illusion dans la couleur et dans l’effet dont la peinture à l’huile a donné le secret, la fresque a été peu cultivée et presque entièrement abandonnée.

Je ne disconviens pas que le grand style, le style épique dans la peinture, si l’on peut ainsi parler, n’ait vu en même temps décroître son règne, mais des génies tels que les Michel-Ange et les Raphaël sont rares. Ce moyen de la fresque qu’ils avaient illustré et dont ils avaient fait l’emploi aux plus sublimes conceptions, devait périr dans des mains moins hardies. Le génie d’ailleurs sait employer avec un égal succès les moyens les plus divers. La peinture à l’huile sous le pinceau de Rubens a égalé, pour le feu et la largeur, l’ampleur des fresques les plus célèbres, quoique avec des moyens différens ; et, pour ne pas sortir de cette école vénitienne dont Titien est le flambeau, les grands tableaux de ce maître admirable, ceux de Véronèse et même du Tintoret sont des exemples de la verve unie à la puissance, aussi bien que dans les fresques les plus célèbres : ils montrent seulement une autre