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monde excepté pour lui. Beyle faisait profession d’estimer les anciens ouvrages de Rossini plus que les derniers, qui sont pourtant regardés comme supérieurs par la foule ; il donne cette raison que, dans sa jeunesse, il ne cherchait pas à faire de la musique forte, et c’est vrai. Rubens ne se châtie pas, et il fait bien. En se permettant tout, il vous porte au-delà de la limite qu’atteignent à peine les plus grands peintres ; il vous domine, il vous écrase sous tant de liberté et de hardiesse.

Je remarque aussi que sa principale qualité, s’il est possible qu’il en faille préférer quelqu’une, c’est la prodigieuse saillie, c’est-à-dire la prodigieuse vie. Sans ce don, point de grand artiste ; c’est à réaliser le problème de la saillie et de l’épaisseur qu’arrivent seulement les plus grands artistes. J’ai dit ailleurs, je crois, que, même en sculpture, il se trouvait des gens qui avaient le secret de ne point faire saillant ; cela deviendra évident pour tout homme doué de quelque sentiment qui comparera le Puget à toutes les sculptures possibles, je n’en excepte pas même l’antique. Il réalise la vie par la saillie comme personne n’a pu le faire ; de même pour Rubens à l’égard des peintres. Titien, Véronèse, sont plats à côté de lui ; remarquons en passant que Raphaël, malgré le peu de couleur et de perspective aérienne, est en général très saillant dans les figures individuellement. On n’en dirait pas autant de ses modernes imitateurs. On ferait une bonne plaisanterie sur la recherche du plat, si estimé dans les arts à la mode, y compris l’architecture.


13 novembre. — Je fais pour la centième fois cette réflexion en lisant Rémusat, homme de mérite d’ailleurs : la littérature moderne met de la sensiblerie partout ; ce style imagé à tout propos, mêlé à un sérieux pédantesque et attendri que vous ne trouvez jamais dans Voltaire, et dont, par parenthèse, Rousseau est l’inventeur, donne à un traité sur la centralisation (c’est le cas pour Rémusat) le ton d’une ode ou d’une élégie.