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pas encore sous l’influence des continentaux, et le mari et la femme étaient, quoique radicaux en politique, des économistes convaincus.

Il y a une quinzaine d’années, la correspondante de J.-B. Say, toujours fidèle à l’économie politique, et dont l’esprit était aussi actif qu’un demi-siècle auparavant, me faisait part du chagrin qu’elle ressentait de voir apparaître au premier rang sur la scène politique de son pays des hommes dont elle disait que c’étaient des demi-savans allemands.

Ce sont en effet les continentaux, — nous disons ici les Allemands, — qui ont apporté en Angleterre le socialisme sous la forme que nous combattons aujourd’hui. Et M. Goschen, qui s’y connaît, parlant, dans son discours du 8 mai dernier, de l’impossibilité de trouver une limite naturelle aux tarifs progressifs, a dit que c’étaient les socialistes continentaux qui seuls jusqu’à présent avaient préconisé ce système.

Il n’y avait donc pas, à une époque qui n’est pourtant pas très éloignée de nous, d’intimité politique entre les radicaux et les socialistes anglais. La concentration d’aujourd’hui est nouvelle. Si elle dure, l’Angleterre est vouée au socialisme, mais il est possible qu’elle ne dure pas.

Beaucoup d’entre nous ont connu un homme d’Etat anglais fort remarquable, mort depuis quelques années, sir Louis Mallet, descendant du fameux Mallet-Dupan de Genève, et devenu Anglais depuis plusieurs générations. Sir Louis Mallet était radical, et cependant toutes ses sympathies étaient pour l’école de Manchester. On a beaucoup parlé de lui dans la dernière discussion du budget de sir William Harcourt. Il déplorait, lui aussi, l’invasion en Angleterre des idées continentales. Voici quelques paroles de lui qu’on a citées au cours de la discussion :

« Le principe de l’impôt progressif, qui a été l’idée favorite des écoles du socialisme continental, est une question que je ne puis discuter dans les limites que je me suis données.

« Elle a d’ailleurs été si approfondie par des discussions antérieures qu’il y a peu de choses nouvelles à en dire. M. Stuart Mill lui-même, qui favorise certains projets de limitation dans le droit d’hériter, fait observer qu’un tarif de cette nature employé pour l’impôt sur le revenu impose une pénalité à ceux qui travaillent le plus fort et font plus d’économies que leurs voisins. C’est une taxation partiale qui est une forme adoucie du vol. Si ce sujet n’a pas beaucoup attiré l’attention des économistes anglais, c’est que jusqu’à présent ce pays a conservé une certaine immunité des hérésies économiques qui ont quelquefois ébranlé les fondemens