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la frontière, c’était l’opposition monarchique, d’une branche à l’autre branche de la maison royale. Le vrai danger était là, d’autant plus redoutable que le carlisme ne représentait pas seulement la ligne masculine de la dynastie de Bourbon, et l’alphonsisme la ligne féminine, mais que le carlisme contenait, par définition, un maximum, et l’alphonsisme, un minimum de monarchie.

Entre ces feux croisés, les carlistes d’un côté, les républicains de l’autre, la position était des plus embarrassantes, et il fallait sonder le terrain pli par pli. Un pas à gauche, c’était trop peu de monarchie pour les carlistes ; un pas à droite, c’en était trop pour les républicains. Or la Restauration ne pouvait réussir qu’en détachant d’un de ces partis et de l’autre, et en rattachant à elle, ce qui se laisserait finalement assimiler.

A ses débuts, elle n’était rien qu’une transaction, un compromis, une solution intermédiaire. Sur quelles bases se ferait l’arrangement et que serait la monarchie, revenue d’Angleterre après six ans d’exil ? Serait-elle surtout monarchique, ou serait-elle plutôt démocratique ? Serait-elle de ce siècle ou d’un autre ?

Le manifeste que le prince avait, de Sandhurst, adressé à l’Espagne, affirmait que le remède était dans le rétablissement de la monarchie « héréditaire et représentative » ; et, du commencement à la fin de ce document, les deux épithètes étaient accouplées, comme deux sœurs jumelles. Jusque dans cette conjonction d’adjectifs perçait la préoccupation de la monarchie restaurée. « Héréditaire » visait les royalistes, et « représentative » visait les libéraux. Comment s’opérerait le partage et selon quelle formule ? dans quelles proportions combinerait-on « l’hérédité » et « la représentation » ?

Il semble que, d’abord, ce soit aux royalistes, aux carlistes, qu’on ait songé, que ce soit sur eux, sur les plus raisonnables ou les moins exaltés d’entre eux, que le nouveau régime ait voulu éprouver sa force d’attraction, et il n’est guère contestable qu’il ne fût, en cela, guidé par un très sûr instinct. Des deux principes qu’il alliait en lui, l’un d’eux, l’hérédité, même s’il impliquait une certaine réaction, un certain retour aux traditions, n’était pas fait pour effrayer l’Espagne de 1874. Principe d’hérédité, principe d’autorité ; et de quoi, si ce n’est d’autorité, ont besoin les nations, au sortir d’une pareille crise ? Mais, d’autre part, les carlistes et les alphonsistes n’étaient divisés que sur un fait, non point sur une doctrine, sur le monarque, non sur la monarchie. Dans la conception qu’ils s’en formaient, on peut dire que les différences étaient secondaires, hormis la personne du roi, de don Carlos ou