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ils ne pouvaient ni ne voulaient consentir à aucun titre, comme le jury populaire, le suffrage universel, il les ont combattues jusqu’au bout, âprement, de tous leurs moyens, dans les Chambres et dans les journaux, par leurs discours et par leurs livres. Elles n’ont été faites que malgré eux, contre eux. Ils ont pu trouver à ce moment que la monarchie passait les bornes, se démocratisait à l’excès, ils ont pu le dire et le dire sur le ton blessé de gens qui avaient tiré la monarchie de l’exil, sur le ton inquiet de gens qui ne savaient plus où la monarchie s’arrêterait. Mais, s’ils revenaient aux affaires, ils n’en déferaient rien, car, M. Canovas le leur a enseigné, c’est une des conditions du régime parlementaire qu’un parti ne défasse pas ce que l’autre a fait et, quelque peine qu’on en ait, il faut s’accommoder de ce régime, avec ses défauts, tel qu’il est, ou courir le risque d’un pire.

On voit que la doctrine, en M. Canovas, n’ôte pas à l’action l’élasticité nécessaire : la doctrine, en lui, est faite pour l’action, par un homme de pensée chez lequel toute pensée est politique. Et l’on voit, d’autre part, que, si le champ de bataille des partis en Espagne est circonscrit par la constitution, il n’est pas tellement resserré que libéraux et conservateurs n’y puissent déployer leurs troupes et s’y livrer des engagemens sérieux et, à l’occasion, furieux.

Il est bien vrai que l’on n’y combat plus pour ou contre la forme du gouvernement établi, mais n’y combat-on pas pour la possession du pouvoir dans la monarchie constitutionnelle ? N’y a-t-il plus, entre les partis, de motifs à rencontres ? Même s’il n’y en avait plus, n’en est-il pas de l’ambition comme de la fidélité ? Estelle moins vive, moins ardente quand les personnes seules sont en jeu que lorsqu’il y va des principes ?

C’est un intéressant spectacle, de voir faire assaut l’un contre l’autre, avec des armes le plus souvent courtoises, mais dont souvent aussi l’on sent la pointe, M. Sagasta, le chef des libéraux, et le chef des conservateurs, M. Canovas del Castillo : fin régal pour les amateurs de belle escrime parlementaire. M. Sagasta est là, à la première place du banc de velours bleu, del banco azul, réservé aux ministres, et quelqu’un de la droite, M. Francisco Silvela ou M. Romero Robledo l’appelle du pied, l’attire sur le terrain, le crible d’épigrammes, le pique d’une multitude de petits coups de poignard. Don Praxedes secoue la tête, interrompt, frappe sur son pupitre, bondit. La majorité, par derrière, l’excite de ses applaudissemens et de ses clameurs : Ya ! ya ! ya era hora ! por fin ! por fin ! À la bonne heure ! il était temps ! Enfin ! enfin ! Il se sent appuyé, soutenu, poussé en avant, et il charge…

La Chambre et les tribunes vibrent… M. Canovas del Castillo