Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/666

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se cassa ; et il en fut de même jusqu’en 1787, où un marchand risquait pourtant un tirage de 50 000 bouteilles, opération qui parut prodigieuse à l’époque. Ce fléau de la casse arrêta longtemps l’essor du « vin de Reims. » On n’avait aucune donnée sur la production de l’acide carbonique, et l’on s’en tenait à la dégustation pour savoir si le vin contenait assez ou trop de sucre, jusqu’à ce qu’un chimiste de Châlons-sur-Marne fut parvenu, en 1836, au moyen du gluco-œnomètre (flotteur de verre imaginé par Cadet Devaux), en faisant évaporer la partie alcoolique d’un volume donné de vin, à déterminer la quantité de sucre exactement suffisante pour produire une belle mousse.

Ce commerce a pris depuis lors une extension considérable. En 1844 le total des expéditions dépassait à peine 6 millions de bouteilles par an, dont 2 millions pour la France et 4 millions pour l’étranger. En 1864 la France en consommait 3 millions, l’étranger en absorbait 9. En 1880 la demande de la France ne s’était pas sensiblement accrue, mais l’exportation avait doublé. Enfin, du 1er mai 1893 au 30 avril 1894, le nombre des bouteilles vendues a été de 22 200 000, dont 17 300 000 à l’étranger et 4 900 000 en France. On le voit, la majeure partie de notre Champagne nous quitte ; d’après les chiffres officiels des quatre dernières années, nous en buvons à peine le cinquième et, dans la réalité, nous en buvons même moins, parce que les ventes faites par le département de la Marne au reste de la France comprennent d’assez forts stocks à destination des marchands en gros de l’intérieur, qui exportent à leur tour à l’étranger. Sous le rapport de la qualité, l’infériorité de notre consommation s’accuse encore davantage. Il n’existe pas ici de statistique positive, mais il suffit de consulter les grandes maisons de Reims et d’Epernay pour savoir que les champagnes les meilleurs, les plus chers aussi, prennent le chemin de la frontière.

La production annuelle du vignoble de la Marne était tombée depuis dix ans de 450 000 à 340 000 hectolitres. Elle demeurait néanmoins très supérieure à celle des vins mousseux ; d’autant plus qu’il entre chaque année dans la région, pour la fabrication de l’ « article » bon marché, une certaine quantité de vins du dehors. Afin de communiquer à ces intrus le parfum qu’ils doivent copier, on y verse de 25 à 120 grammes par bouteille d’une liqueur, prétendue mystérieuse, qui se compose de sucre candi fondu, à raison d’un kilo par litre, dans du vin blanc additionné, soit de cognac et de teinture de vanille, soit de porto et d’eau-de-vie, avec quelques centilitres de kirsch et d’alcoolat de framboises. Lorsqu’il s’agit de vins de bonne marque, n’ayant pas besoin de