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producteur étant le plus souvent un personnage fort à son aise ou une société commerciale très florissante, qui arrive à réaliser des bénéfices de 600 000 à 1 500 000 francs par an, il y aurait de la naïveté à s’apitoyer sur son sort.

Il n’en est pas de même des petits viticulteurs du reste de la France, de ceux du Midi en particulier. Ceux-là se plaignent de l’écart trop grand qui sépare le prix à eux payé par les négocians en gros, du prix auquel leur vin est revendu aux consommateurs par les débitans. Ces plaintes ne sont justifiées qu’en partie. Le procès du commerce de détail est actuellement pendant devant l’opinion publique ; son organisation est vicieuse pour le vin, comme pour le pain et pour d’autres denrées et d’autres objets. Elle appelle une réforme, qui d’ailleurs est en train de s’opérer d’elle-même. A Paris les débits de vins et spiritueux sont pour la plupart, — dans la proportion des quatre cinquièmes peut-être, — entre les mains des négocians en gros de Bercy ou de l’Entrepôt qui commanditent, créditent, soutiennent et multiplient à l’envi les uns des autres les innombrables comptoirs où ils écoulent ainsi leurs marchandises, à des conditions désavantageuses pour le public et pour eux-mêmes.

La corporation des cabaretiers est en effet l’une des plus instables et des moins solvables de la capitale ; les agences de renseignemens commerciaux en savent quelque chose. Depuis quelque temps le bar et l’épicerie font à celui qu’en argot parisien on appelle le « mastroquet » une concurrence active. Les gros négocians sont par là directement touchés, parce que l’épicier a plus d’avances, plus de surface, et qu’il tend à s’approvisionner directement chez les producteurs. De plus, dans cette révolution du commerce alimentaire qui se prépare, le vin devient pour l’épicier un article de réclame, comme le sucre ou le café. Il le sacrifie parce qu’il attire ainsi la clientèle et se rattrape sur d’autres objets. Le débitant a peine à le suivre, parce que le vin représente une trop grande part de son commerce restreint pour qu’il en abandonne les profits. Il est donc possible de prévoir la décroissance du nombre des détaillans de vin au litre.

Pour les vins vendus en pièces, le rêve de la plupart des producteurs est d’entrer en communication immédiate avec les consommateurs. Beaucoup d’entre eux l’ont réalisé par la voie des annonces, sans aller jusqu’à promener à travers la France, comme certains Méridionaux l’ont fait ce printemps, des réservoirs pleins de vin, montés sur wagon, d’une contenance d’environ 12 000 litres, dont ils opéraient la vente dans les gares. Diverses causes paralysent encore les relations directes : les propriétaires