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que, lui-même, Frédéric, ne manquerait pas de faire sentir. La consultation ainsi donnée en règle se terminait par ces mots : « Je demande avec instance que le Duc veuille bien ne pas me nommer dans tout ceci, et de faire même semblant comme s’il ne m’avait pas consulté sur cette affaire[1]. »

Les secrets de cette nature sont rarement gardés, et il n’est pas sûr que Frédéric comptât lui-même sur la discrétion de son correspondant ; quoi qu’il en soit, l’aisance avec laquelle il engageait un beau-frère, un ami, un des soutiens naturels de sa politique, à passer sans transition d’un bord à l’autre, donnait naturellement à penser qu’il ne répugnerait pas à opérer lui-même au besoin un changement de front du même genre. Ce fut la conclusion à laquelle on arriva dans un conseil tenu à Hanovre, où George s’était rendu, comme il le faisait tous les ans, au grand déplaisir de la nation britannique et de ses propres ministres. Il ne manquait pourtant jamais d’emmener avec lui quelques-uns des membres de son conseil et, cette fois, c’était le secrétaire d’Etat chargé des affaires d’Allemagne, lord Holderness, qui avait dû l’accompagner. La distance de Hanovre à Brunswick n’étant pas grande, Holderness s’y rendit en personne pour charger expressément le duc d’entrer en conversation avec son beau-frère, et celui-ci ayant craint de se compromettre par une communication purement verbale, un écrit lui fut laissé où il était dit : « Les différends survenus entre l’Angleterre et la France pourraient bien troubler le repos général de l’Europe et même porter le fléau de la guerre au sein de l’Allemagne. On a pourtant de la peine à concevoir sous quel prétexte on voudrait inquiéter un membre de l’Empire et comment on pourrait colorer une attaque sur les États allemands de Sa Majesté Britannique, en haine des mesures qu’elle s’est vue forcée de prendre pour la défense des droits et possessions de sa couronne dans le Nouveau Monde. Une attaque aussi injuste ne pourrait manquer d’être suivie de malheureuses conséquences. Sa Majesté se verrait obligée d’avoir recours aux puissances alliées, et des inondations de troupes étrangères mettraient le comble aux malheurs de l’Allemagne. Une telle calamité intéresse trop Sa Majesté le roi de Prusse pour qu’Elle pût la voir arriver avec tranquillité, et les sentimens patriotiques de ce prince sont trop bien connus pour qu’on puisse douter que, bien loin d’appuyer l’injustice d’une telle attaque, il ne fît effort auprès de ses alliés pour en prévenir les suites funestes… Ce qu’on désire de la part de Son Altesse Sérénissime (le duc de

  1. Pol. Corr. Frédéric au prince Ferdinand de Brunswick, I, 26 juillet 1755, t. XI, p. 191, 225.