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On peut se demander si ce serait sur ce ton, et avec si peu d’émotion que les grands politiques des siècles précédens auraient jugé les offres inespérées qu’on faisait briller aux yeux de l’héritier de François Ier, d’Henri IV, et de Louis XIV. La barrière des Pays-Bas abaissée ; deux places importantes livrées d’avance comme gages de cessions futures ; un centre d’influence française créé par l’Autriche elle-même sur ses derrières et aux portes de l’Allemagne ! je suis loin de penser qu’ils se fussent jetés sans réflexion sur des promesses dont la bonne foi était douteuse et l’exécution si peu sûre. Mais je doute qu’ils les eussent entendues sans tressaillir et sans se demander si leurs oreilles ne les trompaient pas. Auraient-ils été arrêtés par le scrupule d’abandonner le roi de Prusse et d’entrer même en conspiration contre lui avant de s’être assurés qu’il eût été le premier à leur fausser compagnie ? C’est douteux, la délicatesse de conscience étant en général le moindre défaut des politiques ! Ce qui est certain, c’est que ce ne serait pas la pensée de se mettre en relation avec d’anciens ennemis de la France qui leur eût inspiré une trop forte répugnance. Louis XIV, au lendemain de Ryswick, n’avait-il pas négocié avec Guillaume III le partage de la monarchie espagnole !

Bernis n’ayant, en fait de génie comme de moralité, rien qui sortit de la moyenne, écrasé d’ailleurs d’avance par le fardeau dont on chargeait ses épaules, n’était pas de taille à se permettre de telles allures ; aussi le conseil qu’il donna au roi fut-il d’une prudence et d’une bonne foi également recommandables, sans être pourtant dépourvu d’une certaine adresse. Nous en avons le texte précis dans une note rédigée par Stahremberg, après un second entretien avec Bernis lui-même, et que les archives de Vienne nous ont conservée. L’accueil le plus amical et le plus reconnaissant était fait aux ouvertures de l’impératrice ; le désir d’en faire sortir un traité d’alliance intime et solide y était affirmé avec une sorte de chaleur. On y prenait acte avec art du peu d’intérêt que l’impératrice paraissait attacher aux griefs de l’Angleterre dont elle ne semblait pas se soucier de connaître la nature, mais ce qui était surtout exprimé en termes positifs, c’était la surprise mêlée d’incrédulité causée par la révélation des prétendus pourparlers engagés entre la Prusse et l’Angleterre. « Fidèle, — disait la note, — aux engagemens et aux lois de l’honneur, le roi ne pouvait, sans les motifs les plus graves et les preuves les plus