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L’affaire restait ainsi en panne comme c’était son désir, jusqu’à l’incident qu’il attendait et qui en fait ne devait pas manquer. C’est de Berlin que cet incident décisif allait venir, et c’est là que, les diverses négociations engagées réagissant ainsi l’une sur l’autre, celui qui veut en suivre l’enchaînement doit maintenant se transporter. La suite des faits exigera du reste plus d’une fois que l’on passe ainsi d’une scène à l’autre.


III

Les délais exigés et ménagés par le ministre autrichien auraient pu, même au point de vue de l’intérêt que Bernis avait à soutenir, avoir quelque avantage ; mais c’était à une condition, c’est qu’ils fussent mis à profit pour tirer au clair, par une action pressante, ce qui était le véritable nœud de la situation, l’état d’esprit et les intentions prêtées au roi de Prusse. Les soupçons ou, pour mieux parler, la dénonciation de l’Autriche, était-elle oui ou non fondée ? Si on s’écartait de l’ancienne alliance pour en rechercher une différente et presque contraire, serait-on en état de défense ou du moins de représaille légitime ? Il n’y avait pas, avant de faire un pas dans la voie nouvelle, de question plus urgente à résoudre. Il semble bien que tel fut le sentiment de Bernis lui-même, s’il est vrai, comme il le raconte, que, dès l’ouverture même des pourparlers avec les Autrichiens, il ait représenté au roi la nécessité d’envoyer sur-le-champ auprès de Frédéric un ministre éclairé qui pût démêler les sentimens de ce prince, lui tâter le pouls, et permît d’éviter (comme il le dit par une très heureuse expression) le double risque soit de se brouiller avec un ami fidèle, soit de rester dupe d’un ami perfide. Il est vrai qu’il ajoute que ce fut lui qui désigna le duc de Nivernais pour aller remplir cette utile fonction d’éclaireur et s’attribue ainsi cette nomination. Cette assertion n’est pas exacte : la mission de Nivernais, comme on l’a vu, était décidée déjà depuis plusieurs mois, annoncée d’avance, acceptée par Frédéric et connue de tout le monde en France aussi bien qu’en Prusse et même en Autriche. Mais puisque l’ambassadeur était déjà nommé, il était plus simple encore et plus facile de le faire partir. Pourquoi l’ordre ne lui en fut-il pas immédiatement donné et pourquoi plus de trois mois devaient-ils s’écouler avant, soit qu’il songeât lui-même, soit qu’on l’invitât à se mettre en route ? C’est ce dont aucune explication raisonnable ne peut être donnée, et ce qui, en fait de maladresse et d’incapacité, passe vraiment toute imagination. Faut-il réellement croire, comme l’écrivait le ministre de Prusse à Paris, Knyphausen (qui