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pas été donné par les avertissemens de l’Autriche. Le changement d’attitude du roi et des ministres anglais à Hanovre n’avait pas été remarqué seulement par l’envoyé de Marie-Thérèse. Dès le commencement de septembre une gazette semi-officielle de Berlin racontait que la veille du départ du roi George, on avait bu à sa table, publiquement, à la santé du roi de Prusse ; et dans les rapports où étaient la veille encore les deux souverains, c’était un fait qui ne pouvait passer inaperçu. L’envoyé, La Touche, s’étant ému de ce symptôme de réconciliation, le ministre Podewils, sans nier positivement l’incident, se borna à répondre que le gazetier était un jeune homme sans expérience, que le roi avait nommé sans consulter personne, et qu’on allait le remercier. La Touche, à qui son discrédit notoire ne permettait pas de se montrer difficile, eut la bonne grâce de se contenter de cette réponse ; mais il ne put se dispenser d’avertir Rouillé, que tous les cliens de Frédéric, — en particulier ses deux beaux-frères, les margraves d’Anspach et de Bayreuth, — suivaient l’exemple du duc de Brunswick et se mettaient en relation avec le ministre anglais, à ce point qu’il avait cru nécessaire de suspendre la remise des lettres de change envoyées de Paris pour payer le semestre des subsides qui leur étaient dus. Enfin le bruit de l’arrivée prochaine d’un ministre anglais porteur d’une mission importante s’étant répandu à Berlin, Frédéric crut nécessaire d’aller au-devant du soupçon : « Je ne veux pas vous laisser ignorer, écrivait-il à Knyphausen, et vous pouvez même en glisser quelque chose à M. de Rouillé, qu’on m’est venu faire des ouvertures assez singulières et importantes, dont je me réserve cependant de communiquer le détail au duc de Nivernais dès qu’il sera arrivé chez moi. »

La simple curiosité aurait dû suffire pour ne pas perdre un jour et se faire informer sans délai de ce que pouvaient être ces ouvertures dont l’importance égalait la singularité. Rouillé préféra voir dans cette indication la promesse que rien ne se ferait en ce genre-là pas plus qu’en aucun autre avant l’arrivée de son ambassadeur, et que puisqu’on était disposé à l’attendre, il n’y avait pas de raison pour se hâter, Knyphausen n’ayant pas manqué en effet, dès sa première audience, de glisser les quelques mots dont on l’avait chargé de faire part. « Ce ministre, écrit-il, m’a paru certainement édifié de la bonne foi avec laquelle Votre Majesté agit avec sa cour, et a été d’autant plus touché de cette marque de confiance qu’on commençait à soupçonner (et qu’on croyait même l’avoir appris de Londres) que l’Angleterre avait entamé une négociation avec Votre Majesté : cette ouverture a produit ici très bon effet, et elle a entièrement rassuré le ministre des