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Le même esprit régna longtemps encore. Sixte-Quint s’en inspira lui aussi. Il enjoignit qu’on enlevât du Capitole, sous peine d’en ordonner la démolition, les dieux antiques qui le profanaient, et par son ordre, au sommet des colonnes romaines, les apôtres remplacèrent les empereurs.

Ainsi finissait le XVIe siècle, brûlant avec trop d’ardeur ce qu’avec trop d’ardeur il avait adoré. De la violence qu’elle s’était faite elle-même, l’Italie demeurait attristée et meurtrie, pleurant le rêve de sérénité et de joie dont la Renaissance avait enchanté ses yeux et son âme, ses sens et sa foi. Et maintenant la tristesse, qu’elle n’avait connue que rarement et par des génies d’exception, par un Dante, un Savonarole, un Michel-Ange, la tristesse lui apparaissait comme la règle, le devoir et le salut. Elle qui, selon l’heureuse expression d’un de ceux qui la comprennent et l’aiment le mieux[1], semblait « avoir ajouté une béatitude au sermon sur la montagne : Beati qui rident », il lui fallait désapprendre et désavouer le sourire. Dies iræ, dies illa ! « Le jour, dit encore M. Gebhart, et l’on ne saurait mieux dire, le jour où l’Eglise menacée, chancelante, s’est repliée sur elle-même, s’est défendue pour ne point périr, et a fait revenir impérieusement la chrétienté à la discipline austère et à la rigueur dogmatique, ce jour-là, l’Italie a perdu la moitié de son âme. »


III

Un pareil moment ne pouvait produire et favoriser qu’une musique religieuse et une musique austère. Tel est en effet le double caractère de la musique de Palestrina et de ses contemporains. Les compositions mondaines et pour ainsi dire laïques n’occupent dans l’œuvre du maître qu’une place secondaire. De ses madrigaux, une bonne partie (madrigaux dits spirituels) ne sont que des cantiques pieux ; les autres sont traités dans le même style, presque dans le même sentiment que les morceaux d’église. Entre le célèbre madrigal Alla riva del Tebro, par exemple, et tel ou tel motet de fête (j’entends d’une fête joyeuse), les paroles peut-être constituent la plus sensible différence.

De l’œuvre palestinienne pourtant, la piété même a été contestée. Dans son Histoire de la musique religieuse, M. Félix

  1. M. Gebhart.