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concède à qui les atteindra le premier. Il s’ensuit que des pays environnans arrive une trombe de chevaux lancés à toute vitesse par leurs cavaliers. Le narrateur nous montre des photographies instantanées qui donnent l’idée de la course, favorisée par un paysage plat, et de la victoire remportée bride abattue. On voit aussi le vainqueur se reposer, assis par terre, dans la récente jouissance de son bien, propriétaire pour la première fois de sa vie, d’ailleurs à moitié mort de faim et de fatigue ; puis.la ville en formation : des tentes éparses ; le commerce qui commence à poindre, représenté par un magasin en planches. Pour rencontrer ces mœurs-là, il n’est pas après tout nécessaire d’aller extrêmement loin de l’Illinois, où nous sommes. Jadis, ici même, on a trouvé des sépultures indiennes, squelettes reposant dans les plus hautes branches des arbres. Une discussion s’élève sur les Indiens, que quelques-uns jugent perfectibles dans les arts de la civilisation, notamment dans l’agriculture, tandis que d’autres les déclarent capables de tout, sauf de travailler. Les travailleurs occupés sur la propriété sont tous Suédois, honnêtes et laborieux par conséquent. Je vois leurs maisonnettes éparpillées sous bois et dans la plaine. Ils fauchent, moissonnent, battent le grain, avec l’aide des engins les plus perfectionnés ; rien de pittoresque dans tout cela. Le teint bruni du maître atteste qu’il les surveille de près et que sa propre tâche est rude. Il se moque gaîment des phrases toutes faites sur les délices de la vie rurale et de tout ce que le prétendu bonheur de l’homme des champs a pu inspirer de suave aux poètes antiques et modernes : « Virgile n’était pas venu en Amérique, » dit-il pour conclure.

Ces dames parlent de Paris, où les deux fraîches Hébés qui à table nous versaient du thé, iront achever leur éducation ; je n’ose leur dire qu’elles y trouveront difficilement autant de ressources qu’à Galesburg. On ne nous propose pas le tour du propriétaire, inévitable en Europe. Les campagnes de l’Ouest n’en sont pas encore aux allées arrangées pour la promenade. On marche par nécessité sur des routes qui mènent à un but pratique : nos petits sentiers herbus, qui demandent à être foulés par de longues générations de gens que rien ne presse, viendront plus tard.

Vers l’heure où le soleil se couche, je remonte dans le buggy du haut duquel j’assiste à un de ces couchers de soleil qui incendient superbement le ciel au-dessus de la prairie sans limites. La plus jeune fille de nos hôtes, une belle enfant de neuf ans, saute à cheval, sans se soucier de sa robe courte, sans même prendre un chapeau, et nous accompagne jusqu’au tournant de la route, où elle s’arrête. Longtemps je regarde de loin la figure de la