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sympathie. Dès lors, l’artiste peut conduire à son gré tous les yeux du public partout où cela est nécessaire. »

Le moyen qu’on emploie pour provoquer les illusions positives est la feinte. La feinte est un simulacre d’action, une ébauche d’action ; on feint de prendre un objet sur la table en étendant la main vers la table comme si on prenait réellement l’objet ; on feint de jeter une orange en l’air en faisant le mouvement de lancer l’orange, mais en retenant celle-ci dans la main. La feinte consiste à exécuter la première partie seulement d’un acte connu et expressif ; puis on dérobe aux yeux la fin de l’acte, on cache par exemple la main derrière une table, derrière un écran ou derrière son corps pendant cette seconde partie de l’acte, que l’on se garde bien d’exécuter ; l’assistant non prévenu, qui a bien vu le commencement de l’acte et mal vu la fin, croit que l’opération entière a été complètement et correctement exécutée. Les psychologues n’ont point de peine à expliquer le mécanisme de ces opérations, qui reposent sur les lois banales de l’habitude, autrement dit les lois de l’association des idées. Quand deux actes, deux perceptions se font ordinairement ensemble, notre esprit est ainsi fait que la présence de l’un des deux actes, de l’une des deux perceptions nous suggère irrésistiblement l’autre. Dès que nous percevons un premier acte, nous supposons le second, parce qu’il en est la conséquence logique, ou simplement l’accompagnement habituel ; nous faisons plus que le supposer, nous nous le représentons si vivement que nous croyons le voir.

Ces explications s’appliquent directement à l’escamotage, opération qui est la base de la prestidigitation. L’escamotage consiste à supprimer brusquement et complètement un objet devant les yeux du spectateur étonné, en donnant l’illusion que cet objet a été transporté dans un endroit où réellement on ne l’a pas placé. Le prestidigitateur prend un objet dans sa main droite, une balle de liège, un œuf, une pièce de monnaie, peu importe, pourvu que l’objet soit petit et d’un maniement facile. Il montre l’objet, puis fait semblant de le faire passer dans la main gauche, et il imite si exactement ce mouvement que chacun est persuadé, s’il n’est pas prévenu du tour, que l’objet a réellement été placé dans la main gauche. Non seulement on est persuadé de ce passage, mais on croit le voir, et plus d’un se porterait volontiers garant du fait, en apportant sa parole de témoin oculaire. L’illusion, pour ceux qui ne la connaissent pas et qui n’ont pas cherché à l’analyser, est absolument irrésistible ; elle domine tout le monde, les enfans comme les hommes mûrs, les savans comme les ignorans, et j’ai vu des hommes éminens, exercés à