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s’en tenir, quel langage faire entendre au duc de Nivernais, qui finira bien par arriver, car on ne peut pas toujours amuser la France. C’est là ce qu’il prie le duc de Brunswick de faire bien nettement savoir à Londres, en ajoutant à la vérité : — « Il faut, mon cher duc, ne pas témoigner le moindre empressement, ni pour votre affaire ni pour la mienne, et voir si cela éveillera ces gens d’outre-mer : nous ne pouvons pas les forcer. Ainsi notre indifférence fera peut-être impression, et s’ils ont l’intention de nous tromper (ce que je soupçonne fort), ils en seront pour leur courte honte[1]. »

Cette fois la réponse arrive et le retard est expliqué. C’est le chargé d’affaires de Prusse à Londres, Michell, qui fait savoir qu’il a été mandé chez M. Fox, le secrétaire d’Etat chargé depuis la mort de Pelham de conduire la majorité parlementaire, et que ce ministre lui a communiqué un document dont il va donner connaissance aux Chambres. C’était le traité depuis si longtemps débattu et annoncé entre la tsarine Elisabeth et le roi George, destiné à unir dans une action commune, pour préserver la sécurité de l’Allemagne, les forces de la Russie à la protection de l’Angleterre. La signature est du 30 septembre à Saint-Pétersbourg ; mais un délai de deux mois avait été assigné pour l’échange des ratifications, et on a dû attendre, pour faire connaître le traité lui-même, que ce temps fût expiré. En vertu de ce traité, les deux États se donnaient réciproquement l’un à l’autre la garantie de toutes leurs possessions, y compris, et nominativement, les possessions allemandes du roi d’Angleterre. A cet effet, un corps de 55 000 hommes devait être maintenu par la Russie sur les frontières de la Livonie, aussi près de la frontière allemande que faire se pourrait, et cinquante galères, pourvues d’un équipage prêt à prendre la mer au premier ordre, devaient stationner sur les côtes de la même province. Pour assurer l’exécution de ces dispositions, un large subside était promis par l’Angleterre : soit 100 000 livres sterling payables par avance du jour de l’échange des ratifications, et 500 000 du jour où les troupes russes seraient appelées à se mettre en marche.

Le secrétaire d’Etat ajouta que cet accord des deux puissances n’avait d’autre but dans leur pensée que de préserver le territoire allemand des attaques que pourraient y porter des armées françaises. Rien donc qui dût inquiéter le roi de Prusse ni qui fût dirigé contre lui. Il dépendait de lui, au contraire, s’il voulait entrer dans leurs intentions, de préserver avec elles la paix de l’Allemagne et peut-être celle de l’Europe. « Votre maître, lui dit-il,

  1. Pol. Corr. Frédéric à Knyphausen, 1er et 15 novembre 1755, t. IX, p. 360, 372. Au duc de Brunswick, 24 novembre, 5 décembre 1755, p. 397, 413.