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Il n’importe, mais qu’un chant se fasse entendre ! Que de l’angoisse, de la mort peut-être, il défende Desdémone ! — Qu’ils chantent ! reprend-elle avec un faible sourire ; qu’ils chantent, ceux qui vivront demain et demain chanteront encore ! — Qu’ils chaulent ! murmure-t-elle enfin, et cette fois l’harmonie se referme, et le dernier accord tombe sur celle qui ne chantera plus.

Ainsi dans l’opéra de Verdi nous avons rencontré partout la vérité. Et puisque nous l’avons rencontrée dans léchant, dans les accords, dans l’instrumentation, en un mot dans chaque élément essentiel et spécifique de l’art, il est permis d’en conclure que cette musique est non seulement plus vraie, mais plus musicale, plus belle enfin que ne l’était depuis longtemps la musique d’Italie. Cela d’ailleurs n’empêche pas Othello d’être une œuvre foncièrement italienne, par laquelle Verdi rend à l’ancien, au pur génie de sa race, en même temps qu’un éclatant service, un témoignage éclatant. Italien, disons latin pour le faire un peu nôtre, le maître l’est d’abord, ici comme dans Falstaff, par le choix du sujet. Sujets humains, vivans, sujets de drame ou de comédie, et non d’épopée mythologique et légendaire ; sujets qu’à l’Italie autrefois Shakspeare avait empruntés pour les lui rendre un jour plus beaux, plus glorieux. Sans compter que nous remontons aujourd’hui si volontiers dans le Nord, et si haut, que Shakspeare nous parait presque méridional ; il fait clair, il fait chaud dans son esprit et dans son cœur.

Italienne, cette musique l’est à plus d’un titre. La mélodie, et la mélodie vocale, non seulement y abonde, mais y prédomine. C’est la mélodie italienne épurée, rajeunie ; mais c’est encore la mélodie italienne. Constamment (dans le duo du premier acte, dans celui du troisième et dans le monologue d’Othello, dans l’Ave Maria), les formes ou plutôt les lignes sonores se développent à l’aise. La voix reprend ici la valeur, l’autorité, l’expression immédiate et véridique, l’accent qui tour à tour s’impose ou s’insinue, toutes les vertus enfin dont l’avaient dotée les maîtres italiens d’autrefois, dont ceux d’hier l’avaient dépouillée. Ce n’est pas seulement pour chanter que chantent les personnages d’Othello, c’est pour parler aussi : mais ils chantent presque toujours. Leur chant tantôt se déploie en toute liberté mélodique, témoin au troisième acte l’admirable élan qui termine le monologue d’Othello ; tantôt, comme dans presque tout le second acte, il alterne et concerte avec un orchestre chantant aussi ; quand par hasard il se réduit à la déclamation, de la voix alors, de la voix découverte, nue, l’effet peut être saisissant. Il l’est, au dernier acte, après le meurtre de Desdémone, dans l’appel d’Emilia derrière la porte close ; il l’est encore et davantage, dans l’âpre altercation d’Emilia et d’Othello près de la morte : « Cassio fut son amant ; demande à Iago. — A Iago ? — A Iago. — Fou ! l’as-tu pu croire ? Au meurtre ! à l’aide ! le More a tué