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philosophique. Si l’idée est médiocre ou si elle est fausse, il se peut qu’elle reçoive des moyens par lesquels on la traduite un prix tout nouveau. Or la nouveauté des moyens, c’est ce dont M. Richepin semble s’être le moins soucié. Il a puisé dans le répertoire tant ancien que moderne les procédés le plus ordinairement usités et garantis par l’usage. Il y a dans Molière des médecins ignares et solennels : les voici avec même robe et même bonnet, et tout pareils, à cette différence près qu’ils ne nous font plus rire. Il y a dans Molière un paysan à qui on persuade à coups de bâton qu’il est un savant docteur : voici parallèlement des chambellans qui seraient, s’ils en voulaient convenir, de fins bergers. Les intrigues de Marivaux reposent sur un travestissement romanesque : l’auteur de Vers la joie ! n’a pas essayé de trouver autre chose. Musset écrit :


Spadille a l’air d’une oie et Quinola d’un cuistre,


et M. Richepin :


L’un a l’air de Jocrisse et l’autre de Gribouille.


On se souvient ici de la Grande-Duchesse et là de Coquin de printemps ! Le quiproquo, cher aux vaudevillistes, a fourni plus d’une scène à M. Richepin ; et celui-ci n’a dédaigné ni le « truc » du puits qui parle, ni les gentillesses des féeries. Il a eu recours à tous les moyens réputés pour être d’un effet sûr. Mais il arrive que ces sûrs effets, pour avoir été trop souvent répétés, aient perdu leur vertu et qu’ils n’opèrent plus.

Enfin M. Richepin est un poète. Il est de ceux pour qui le langage des vers n’a pas de secrets. Le cynisme des gueux et leurs fiertés, les mœurs des gens de mer et celles des terriens, les sentimens d’aujourd’hui et ceux des âmes d’autrefois, l’athéisme et le mysticisme, la révolte et la résignation, il a tout mis en vers, indifféremment et furieusement. Il a joué avec le rythme et jonglé avec la rime. Il est un virtuose. Il s’en est souvenu dans Vers la joie ! Même il s’en souvient trop. Cet étalage d’habileté et ce grand renfort de prouesse ne sont pas faits pour nous disposer à l’indulgence. On pardonne aisément à une erreur, quand c’est une erreur sans malice et bon enfant. Mais la prétention porte en soi quelque chose d’irritant. En ce sens, dans Vers la joie, certain couplet sur le vin est très significatif. Delille lui-même, les jours où il était le plus en verve, n’a pas trouvé mieux. Supposez qu’on vous demande de trouver une périphrase pour désigner la vigne sans employer les termes de ceps ni de grappes : vous n’inventeriez jamais, quoique subtils, les belles choses dont M. Richepin s’est avisé.