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un certain nombre d’hommes politiques et leur a paru un exemple bon à imiter.

Seulement, lord Rosebery trouve un obstacle dans la Chambre des lords. Déjà, avant sa retraite, M. Gladstone avait prononcé contre elle des imprécations menaçantes : c’est la partie de son héritage que lord Rosebery a recueillie le plus pieusement. Sa situation est difficile ; la majorité sur laquelle il s’appuie est faible et instable ; dès son arrivée au pouvoir la nécessité d’élections assez prochaines a paru s’imposer, mais on ne savait pas encore quel terrain il choisirait pour les faire, ni quel mot d’ordre il donnerait à son parti. On le sait aujourd’hui. Depuis quelques jours, les collègues de lord Rosebery avaient livré quelques escarmouches contre la Chambre des lords : enfin, il a pris lui-même la parole et il a prononcé contre la Chambre haute, à laquelle il appartient, le plus violent des réquisitoires. Il l’a accusée d’être restée immobile et figée dans la situation où elle se trouvait en 1832, alors que, depuis cette époque, la Chambre des communes a modifié et a développé trois fois sa base électorale. Aussi la Chambre des communes a-t-elle vraiment une valeur représentative ; la Chambre des lords, non. C’est à peine si, sur 510 membres, elle compte 30 libéraux. Il en résulte que, toutes les fois que les conservateurs sont au pouvoir, ils trouvent auprès d’elle un appui assuré ; les libéraux, au contraire, n’y trouvent qu’un obstacle infranchissable. Aucune de leurs réformes ne peut aboutir ; elles viennent se briser toutes contre le veto de la Chambre haute. Cette situation ne peut pas durer plus longtemps. Mais comment la changer ? Si on demande à la Chambre des lords d’accepter sa propre révision, et quand même la Chambre des communes aurait voté plusieurs fois cette motion, elle y opposera un veto obstiné. C’est donc ce veto lui-même qu’il faut supprimer ; c’est à lui que lord Rosebery a déclaré la guerre, et cette guerre sera portée devant la nation afin qu’elle y prenne parti. Lord Rosebery fera appel à « l’auguste tribunal » du peuple anglais ; il lui demandera « la force et l’autorité, la majorité et le mandat indispensables pour trancher la difficulté, et pour revenir aux affaires avec le pouvoir de régler, au nom du pays, la question de la révision constitutionnelle. » Et il a terminé sa harangue par cette parole hautaine : « Nous jetons le gant ; c’est à vous de nous seconder. »

S’il y a eu, de sa part, quelque témérité à prendre cette attitude, il y en aurait encore plus à vouloir prédire l’avenir. Lord Rosebery aura-t-il sur son parti, qui a été déjà mis à tant d’épreuves, l’autorité nécessaire pour l’entraîner tout entier ? On y voit des libéraux avancés, qui ne veulent pas du tout de Chambre haute, mais il n’est pas avec eux, il est partisan du système des deux Chambres. D’autres, plus modérés, seront effrayés peut-être des conditions violentes dans lesquelles la lutte semble devoir s’engager. En tout cas, le défi jeté par le premier