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de lui quelque faveur. Il est pourtant probable qu’une fois sa fortune faite, il est resté à Rome, où le retenaient sa grande situation et ses hautes amitiés. De bonne heure il a cessé d’être un provincial pour devenir un de ces grands personnages qui appartenaient à l’empire entier. Mais il y avait alors un autre écrivain presque aussi célèbre que lui, et qui est resté plus véritablement Africain : c’était Apulée. Sans doute Apulée mena une vie fort errante ; cependant une sorte d’attrait le ramenait toujours au pays natal, et il est dans la littérature celui qui doit en conserver le mieux le caractère.

Apulée était né dans une vieille ville numide, sur la frontière des Gélules, c’est-à-dire à quelques pas de la barbarie. Sa patrie, Madaura, dont on aperçoit les ruines quand on se rend par le chemin de fer à Tébessa, est située dans une vaste plaine, qu’arrosent de nombreux cours d’eau, et qu’entourent des collines boisées. Au-dessus de ces collines on aperçoit à l’horizon les montagnes pittoresques du cercle de Souk-Ahrras, et plus loin les crêtes dentelées des chaînes de la Tunisie. Les débris des grands monumens, qui couvrent encore aujourd’hui le sol, indiquent que la ville devait être riche, importante et bien habitée. M. Gsell, qui l’a visitée récemment et y a recueilli beaucoup d’inscriptions, fait remarquer que, quoiqu’elle fût très ancienne et remontât au temps des rois numides, elle paraît s’être ralliée de grand cœur à la domination des Romains. Les noms berbères y sont beaucoup moins nombreux que dans la ville voisine de Thibursicum Numidarum (Khamissa) ; en revanche, on y rencontre des Julii, des Claudii, des Flavii, des Cornelii, des Munatii, les plus grands noms de Rome. C’était sans doute un des foyers de l’influence romaine dans la Numidie ; les lettres et les arts devaient y être cultivés. Le grand nombre des prêtres qu’on y trouve fait supposer qu’il y avait beaucoup de temples ; nous savons que, même à l’époque de Théodose, la ville était restée fort dévote et que les statues des dieux remplissaient le Forum. La famille d’Apulée y tenait une place considérable, et son père y avait occupé les plus hautes fonctions municipales. Il serait intéressant de savoir quelles étaient les véritables origines de cette famille, si elle descendait directement des anciens habitans du pays, ou si elle était venue du dehors s’y établir avec les vétérans que Rome y envoya quand elle en fit une colonie. Peut-être Apulée lui-même aurait-il eu quelque peine à nous le dire : après plusieurs siècles, les deux races s’étaient si bien mêlées ensemble qu’il n’était plus possible de les distinguer. Quoi qu’il en soit, il se regarde comme un Africain, et il lui arrive une fois de dire, quand il se targue de ses belles relations : « J’ai connu beaucoup de grands orateurs de race romaine, multos romani