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que la pauvreté a toujours été la compagne fidèle de la philosophie, et qu’elle est la mère de toutes les vertus, tandis que la fortune a le défaut d’entretenir tous les vices.

Je suis tenté de croire que c’est pendant son séjour à Rome qu’il a composé ses Métamorphoses[1]. D’abord il le laisse lui-même entendre quand il nous dit en commençant son récit « qu’il y a peu de temps qu’il a quitté Athènes ; » ensuite ce moment de sa vie est celui où l’ouvrage paraît le mieux à sa place. On voit bien, quand on le fit avec soin, qu’il marque une sorte de crise dans son existence. Après beaucoup d’égaremens, il vient d’être l’objet de la faveur divine : Osiris a daigné lui apparaître et lui parler ; en échange, il s’est, comme il le dit, enrôlé dans la milice sainte, il est devenu pastophore, et même l’un des chefs du collège. C’est le moment où il convient qu’il rende témoignage aux dieux en racontant les fautes qu’il a commises et le généreux pardon qu’il en a reçu. Plus tard, quand il sera devenu tout à fait un homme grave et une sorte de prêtre, il ne sera plus de saison pour lui de confesser ses aventures légères et ses curiosités coupables. La composition des Métamorphoses, si nous la plaçons à cette époque de sa vie, la sépare en deux : l’âge de la dissipation est passé, il va se consacrer désormais sans partage à rendre témoignage aux dieux et à prêcher la sagesse.

Cette sorte d’apostolat qu’il s’imposait, c’est dans son pays qu’il voulait l’exercer. Il quitta Rome et se fixa probablement à Carthage. — C’est ainsi que son compatriote saint Augustin, après avoir reçu le baptême à Milan, revint en Afrique pour y servir le Dieu auquel il venait de se consacrer. — Mais il n’est pas vraisemblable qu’Apulée soit resté confiné dans la ville où il faisait sa résidence ordinaire : comme il paraît avoir toujours été d’humeur vagabonde, il a dû s’en éloigner souvent pour visiter les pays voisins. C’est dans l’une de ces excursions qu’il lui arriva une aventure qui fit grand bruit et nous a valu l’un de ses meilleurs ouvrages.

Il était parti pour Alexandrie, quand en route, dans la ville d’Œa (Tripoli), il retrouva un de ses anciens camarades d’Athènes qui le retint au passage et lui donna l’occasion de se faire entendre

  1. Ce n’est pas l’opinion de tout le monde, je le sais. Comme il n’est pas question des Métamorphoses dans l’Apologie, on suppose souvent qu’elles n’ont été composées que plus tard, c’est-à-dire qu’elles appartiennent à la seconde partie de la vie d’Apulée. Il est en effet difficile de comprendre pourquoi ses ennemis ne se sont pas servis de son roman, s’ils ont pu le connaître, pour prouver qu’il était un magicien. Quelle que soit la gravité de cette objection, je ne puis me résoudre à voir dans les Métamorphoses qu’une œuvre de jeunesse. Ne peut-on pas supposer, ou bien qu’il a négligé de répondre aux allusions que ses accusateurs ont pu faire à son livre, ne sachant que dire pour se justifier, ou bien que l’ouvrage, quoiqu’il fût composé, n’était pas encore très répandu ?