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m’était revenu en tête ; puis, sous cette chère signature, les quelques pages de Grandeur et Servitude militaires qu’il a consacrées aux souvenirs de sa propre jeunesse : « En Beauce, dans un vieux château… » son père lui parlait de la guerre, et ses ancêtres debout dans leurs cadres, immobiles comme pour une revue du roi, lui parlaient aussi par leurs attitudes ; il leur obéissait, prêt à cet héroïsme que les circonstances allaient lui refuser. Il ne rencontrait partout que servitude ; mais ayant la grandeur dans l’âme, il servait d’abord à cœur perdu, jusqu’à ce que las, offensé, convaincu de son inutilité et voulant servir d’une autre manière, il rentrât dans la vie investi d’une double tristesse, et par la décevance de son espoir et par la vanité de ce qu’il avait espéré. Certes, il aurait mérité de naître cinquante ans plus tard et de voir, dans leur rassemblement nouveau, ces armées licenciées d’un bout de siècle à l’autre, prêtes aujourd’hui sous leurs armes, mais rendues cette fois au pacte social qu’une France plus libre souscrit à ses défenseurs. Et pourtant, non… Mieux vaut qu’il soit mort et qu’il ait ignoré la guerre ; car il ne l’aurait connue qu’étalée sur la Beauce natale, enfoncée au cœur du pays, comme dans les pires jours de notre plus lointaine histoire ; il aurait vu la patrie gisante, percée des sept glaives, et suivi sur la terre de Jeanne d’Arc et dans le sang de France le pas des chevaux allemands qui vouaient s’abreuver jusqu’à la Loire…

Je rêvais donc ; mais, en rêvant, j’étais arrivé d’abord dans l’arrière-cour de la ferme, puis dans un enclos ; je m’engageai alors sous un passage voûté qui me conduisit jusqu’à la cuisine du château. Là, je déclarai avec fermeté le désir que j’avais de saluer très respectueusement Mme de Prinval.

Tout arriva comme on m’avait dit : fuite des domestiques, conférence avec le jardinier, discussions étouffées derrière une porte. En traversant sous le porche, je vins jusqu’au bord du septième cercle, je veux dire jusque devant une pelouse ovale, entourée d’espaliers, de corbeilles, caressée par des odeurs de giroflées et de réséda. Là, des paons se pavanaient, des femmes causaient entre elles et tricotaient. Soudain, je me fis voir, moi l’homme de guerre et le soudard ; et l’effet de cette apparition fut tel qu’une nonne s’approcha d’une vieille grosse femme, appuyée sur sa canne, vers qui se réfugia encore une petite fille chlorotique. D’autres groupes se formèrent plus loin, parmi lesquels j’aurais bien voulu reconnaître la maîtresse de ce château de disgrâce, et la dernière branche sauvageonne issue de cette noble souche…

— Mademoiselle est dans l’impossibilité de recevoir… Mademoiselle regrette…