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Jusque-là l’Allemagne avait été comme une majestueuse cathédrale, ornée de poétiques autels sur lesquels brûlaient les lumières sacrées dans des lampes d’or. La Prusse s’appliqua à la transformer en une gigantesque caserne dans laquelle le bruit des clairons et le pas cadencé des soldats couvriraient les hymnes de l’Idéal ; elle l’amena à désavouer les sentimens d’amour de l’humanité, de fraternité universelle, professés avec tant de génie par les Lessing, les Herder, les Goethe, les Schiller, les Jean-Paul.

De ce côté, il n’y avait qu’à se souvenir et à veiller.


IV. — L’ANGLETERRE

A défaut de la Prusse pouvions-nous compter sur la bonne volonté de l’Angleterre ? La nation de Wilberforce, de Fox, de Cobden n’est pas une nation de proie. Elle a des ruses et des durcies, mais aussi des loyautés et des désintéressemens. Dans sa vie publique comme dans l’œuvre de son Shakspeare, la grossièreté de Falstaff, l’astuce d’Antoine coudoient l’idéalité d’Hamlet et les suavités de Desdémone, d’Imogène et de Viola. On la dirait exclusivement occupée du développement de son trafic ; cependant les mobiles élevés de la religion se mêlent toujours plus ou moins à ses actes, les ennoblissent et les déterminent. Quand elle a écouté pendant longtemps, en un silence semblable à l’adhésion, ses hommes d’État lui répétant que l’intérêt doit être la seule règle de la politique, tout à coup, par un mouvement indomptable de conscience, elle secoue ces axiomes de chancellerie et, de sa voix qui arrive jusqu’aux extrémités de l’Univers, elle proclame les droits imprescriptibles de l’humanité, proteste contre les actes injustes, flétrit les oppressions, siffle les bourreaux ou les tyrans. La nation qui a consacré tant de bonne volonté et tant de millions, une aussi persistante ardeur à l’abolition de l’esclavage, quoi qu’en disent ceux qui parfois la représentent si mal, n’a pas le calcul pour unique inspiration de ses sentimens et pour règle exclusive de ses actes. La France lui a rendu cet hommage dans les instructions de Louis XVIII à ses plénipotentiaires